Le crime de l'hôtel Saint-Florentin
qui surgirent pour ouvrir la porte et aider sa compagne à descendre. La maison paraissait montée sur un grand pied. Aimée d'Arranet se retourna.
— Monsieur, grand merci. Mais vous n'en êtes pas quitte pour autant. Je m'échappe me changer. Tribord vous conduira à la bibliothèque. Je tiens à ce que mon père fasse connaissance avec mon sauveur.
— La chose n'en vaut pas la peine et il y a quelque exagération, dit Nicolas.
— Allons, monsieur, taisez-vous et obéissez de bonne grâce.
Elle lui mit un doigt sur la bouche. Il ne riposta plus et descendit à son tour pour suivre docilement le laquais à livrée rose et grise qui répondait à ce nom étrange. Il avait le visage tout balafré de cicatrices. Surprenant le regard curieux de Nicolas, il lui sourit en une affreuse grimace.
— Que Monsieur ne soit pas surpris : j'ai servi avec le père de Mademoiselle.
Monté les degrés, une porte de bronze sculpté à double battant ouvrait sur un clair vestibule dallé de marbre noir et blanc. Une porte fut ouverte sur une bibliothèque qui montait jusqu'aux moulures rechampies de gris et d'or du plafond. Seules la cheminée et deux croisées interrompaient la régulière succession des ouvrages. À l'emplacement du trumeau, trônait le portrait en pied d'un officier général. À première vue, il s'agissait d'un marin et Nicolas remarqua une scène navale en arrière-plan du tableau. La pièce faisait d'évidence office de salon. Des fauteuils, des guéridons et des tables à jeu s'y répartissaient harmonieusement. Son attention fut attirée par un meuble étrange qui occupait le centre de la pièce. Une table basse contenait une mer de plâtre colorié sur laquelle un combat était reconstitué. Il se pencha pour mieux observer les détails de ce curieux assemblage. Six vaisseaux aux couleurs anglaises paraissaient assiéger deux autres presque détruits, battant pavillon blanc. Tout était rendu par le menu. Chaque unité portait ses voiles ; sur ces fragiles constructions de la taille d'une main, des mèches d'étoupe figuraient la fumée des pièces en train de tirer et de petites billes de plomb les boulets parsemant les ponts. Nicolas repéra même des monceaux de cadavres ainsi que, sur une dunette, un officier sa longue-vue sous le bras, un sabre dressé de l'autre.
— Ah ! monsieur, vous voilà penché sur le bastingage devant un spectacle qui, je le présume, vous intrigue.
Une voix rugueuse s'était élevée derrière Nicolas. Il fit face à un homme de haute et forte stature qui le considérait avec bonhomie de ses yeux gris et rieurs. Il reconnut l'original du tableau de la cheminée. Il portait un habit bleu sombre de coupe militaire à boutons de cuivre et un cordon de Saint-Louis. Sa perruque poudrée ne retirait rien à la mâle énergie d'un visage tanné et marqué de rides profondes. Il s'appuyait sur une canne. Il tendit la main au commissaire, à l'anglaise.
— Merci d'avoir relevé mon écervelée de fille qui, nonobstant mes conseils sur un temps qui fraîchissait 45 , a pris fantaisie d'aller, dès potron-minet, vagabonder dans les bois.
Nicolas s'inclina.
— Tout autre aurait agi de même.
— Ma fille paraît heureuse que ce soit vous… Je vous en suis fort reconnaissant. Vous êtes un ami de La Borde ? Couple charmant. Sa femme fut au couvent avec ma fille. J'ai bien connu votre père à la cour et dans les camps… Vous lui ressemblez. Un homme brave, et quel esprit !
Sous sa rude enveloppe, le personnage ne manquait pas d'usage et de finesse. Tout était dit sans que rien pût blesser.
— Je suis le comte d'Arranet, lieutenant général des armées navales. Sans emploi. Pour le moment, j'espère.
— Puis-je vous prier, monsieur le comte, d'avoir l'obligeance de m'éclairer sur ce meuble qui, je l'avoue, a suscité mon intérêt… et ma curiosité. À moins que mon indiscrétion…
Sa demande ne laissa pas de remplir d'aise son hôte.
— Monsieur, prenez place, je vous prie. Votre requête me plaît et m'honore.
Lui-même attira à lui une bergère qui gémit sous son poids. Nicolas nota une légère boiterie, vestige sans doute d'une ancienne blessure.
— Ce plan en relief met en scène la bataille du Cap Finisterre. Imaginez qu'en 1767, mon chef d'alors, François des Herbiers, marquis de l'Étaudière, devait escorter un convoi de bateaux chargés de vivres pour les Antilles. Quel spectacle ! Représentez-vous la longue suite des
Weitere Kostenlose Bücher