Le crime de l'hôtel Saint-Florentin
peut en divulguer la teneur.
— Soit, monsieur. Vos conditions sont bien rudes…
— M. de Sartine, jadis interrogé sur ce fameux canard par Mme de Pompadour, m'avait chargé d'enquêter et de trouver la réponse. Comment en effet expliquer la reconstitution des fonctions naturelles : avaler, dissoudre et expulser ? De fait, les grains donnés à l'automate tombent dans une boîte placée sous son ventre, une sorte de tiroir qui est vidé toutes les trois ou quatre séances. L'évacuation est préparée à l'avance ; une sorte de bouillie composée de mie de pain et colorée de vert. Celle-ci est poussée par une pompe et soigneusement désignée comme le produit d'une digestion artificielle. Le reste est affaire de mécanique, de rouages, de ressorts, de clés à remonter, toute une parfaite horlogerie.
— Nous partagerons donc un secret… Je comprends que le roi s'y intéresse. Monsieur, y a-t-il longtemps que vous êtes à la cour ?
— Mes fonctions me retiennent surtout à Paris. Cependant, madame, j'y fus souvent depuis 1762, ayant eu, outre la charge d'enquêtes extraordinaires, celle de veiller à la sûreté du roi et de la famille royale.
— Et homme lige d'une marquise et d'une comtesse ?
Le coup était direct. Il lui parut inutile de biaiser.
— J'obéissais, madame, aux ordres du feu roi.
— Rassurez-vous, on m'a fait part de son jugement sur votre loyauté. Savez-vous que le duc de la Vrillière ne m'aime point ?
C'était plutôt l'inverse, elle ne lui pardonnait pas son soutien à Mme du Barry. Il songea que la reine de France n'oubliait pas les offenses faites à la dauphine.
— Je ne suis pas dans sa confidence.
— Puis-je compter sur vous, monsieur ?
— Je suis votre serviteur et celui du roi. Que Votre Majesté veuille bien s'en persuader.
Elle retrouva sa sérénité et lui tendit la main. Que pouvait-on lui refuser ? Nicolas ne retrouva pas M. de Ville d'Avray, pressé sans doute d'annoncer au roi la signature de la paix avec Mme de Maurepas. Nicolas se sentait à la fois heureux et inquiet. Heureux que son retour à la cour soit marqué d'événements où sa faveur éclatante renforçait sa position tant auprès du duc de la Vrillière que du lieutenant général de police, mais inquiet que cette même faveur lui attire nombre d'adversaires, les plus dangereux n'étant pas les plus visibles. Chacun s'adressait à lui pour s'assurer de sa fidélité et réclamer son appui et ses services. Pouvait-il les satisfaire tous ? Le roi premier servi devait être sa devise et sa mesure, comme toujours. Ensuite, on verrait au gré des occasions.
Pensif, il revint à son auberge. Le vent qui s'était maintenu avait séché les eaux de l'orage de l'aube. De petites bourrasques rageuses faisaient tourbillonner follement les feuilles mortes. À une table d'hôte bruyante où il découragea ses voisins par son mutisme, il soupa d'un poulet à la broche et d'un blanc-manger arrosés de cidre. Il se coucha tôt et rêva de Mlle d'Arranet.
Jeudi 6 octobre 1774
Nicolas rejoignit à l'heure dite le parterre entre château et parc où se rassemblaient les voitures du roi en vue de la chasse du jour. Habitué depuis des années à son cérémonial immuable, il considérait, avec une curiosité indulgente, la gaucherie timide des nouveaux présentés. Il lui avait toujours paru singulier que la chasse fût choisie pour marquer cet événement et qu'être présenté, pour un homme, consistât justement à pouvoir monter dans les voitures du roi un jour de chasse marquée. Il en coûtait dix louis au premier piqueur qui présentait le cheval et dix louis au cocher du carrosse. Il somnola jusqu'à la plaine de Grenelle où son poste était proche de celui du roi. Celui-ci, radieux, lui fit un petit signe de la main qui montrait qu'il distinguait mieux de loin que de près. Il était entouré des pages de la grande écurie qui avaient abandonné leurs habits bleus couverts de galons en soie cramoisie et blanche pour des vestes en coutil bleu et des guêtres de peau. Ils se tenaient chacun avec un fusil derrière le prince qui, ayant tiré, prenait une autre arme tandis que la première, passant de main en main, arrivait à l'arquebusier qui la rechargeait. Pendant ce temps, le premier page faisait ramasser le gibier et en tenait compte exact sur de petites tablettes. Le roi, grand chasseur comme ses aïeux, abattait à chaque tiré plusieurs centaines de pièces tant à
Weitere Kostenlose Bücher