Le crime de l'hôtel Saint-Florentin
Dieu, faut-y que j'ai eu du guignon pour m'aller affectionner à un mauvais comme vous, qui me malmenez sans fin ni cesse !
Elle jeta un long regard sur les nouveaux arrivants.
— Voilà le héros de la journée ! dit Richelieu, en s'adressant à Nicolas. Je contais votre aventureuse existence à Maurepas, qui avait bien voulu s'inquiéter de votre personne.
Ce qu'il y avait d'agaçant chez le duc, songeait Nicolas, c'est cette suffisance qui transparaissait à chacun de ses propos, pour bienveillants qu'ils fussent. Il s'inclina devant le ministre.
— Monsieur, dit celui-ci, ce que nous découvre le maréchal nous invite à mieux vous connaître. Mon éloignement de la cour ne m'a pas permis… Dites-moi, vous arrive-t-il de saisir des libelles, des chansons ou autres écrits séditieux ?
— La chose est fréquente, en effet.
— Bien, bien ! Songez à moi à l'occasion. Un exemplaire me suffira. J'ai ce caprice de collectionner les écrits de cette nature depuis bien des années. Clairambault, généalogiste des Ordres du roi, m'a déjà offert une copie de son chansonnier. Si vous m'aidez à l'enrichir, mon recueil constituera la vraie histoire du siècle.
— J'y veillerai, monsieur le comte.
— Ne vl'à t-y pas qu'il jette l'exclusif sur mes visiteurs ! s'écria la duchesse. Approchez, jeune homme.
Cette appellation réjouit Nicolas, de moins en moins accoutumé à ce traitement.
— Alors, monsieur, que nous vaut votre présence ?
— Madame, Sa Majesté…
— Il suffit, monsieur. Plus un mot.
Avait-elle compris ? Était-elle informée ? Elle se leva, s'appuya sur le bras de Nicolas, écarta les autres dames d'un geste impérieux et, toute cassée, l'entraîna dans un boudoir contigu où elle se laissa tomber dans une causeuse avec un soupir de souffrance. Son regard était sévère. Elle l'engagea à parler.
— Madame, je ne tergiverserai pas. Le roi est si malheureux de la perte de votre chat angora qu'il n'ose vous parler. Il souhaite ardemment que vous connaissiez la vérité : j'avoue à ma grande honte lui avoir conseillé le prétexte d'un pigeon manqué.
Un long silence s'ensuivit.
— Monsieur, dites au roi que ma peine est grande d'avoir perdu c'te vieux compagnon qui bâfrait et dormait dans mon giron. Mais qui l'entende comme j'le dis : j'aurais préféré perdre deux fois mon chat que d'savoir le roi mentir. N'a que faire de mon pardon, j'suis sa servante. C'est un bon garçon, et vous aussi. Veillez sur M. de Maurepas.
Elle lui tendit sa main à baiser. Nicolas reparut dans le salon sous les regards intrigués de l'assemblée. Pour la deuxième fois de la journée, le « petit Ranreuil » créait l'événement.
— Point d'éclats, point de cris, je crois avoir été bon prophète en la matière, dit Ville d'Avray dès qu'ils se retrouvèrent seuls. Vous avez ensorcelé la dame.
— Je suis connaisseur en matière d'exorcisme, dit Nicolas mi-figue mi-raisin. J'ai suivi vos conseils et m'en suis bien trouvé. Puis-je vous prier de dire à Sa Majesté que l'affaire est réglée, en toute vérité… et sans pigeon. Et que Mme de Maurepas est sa servante.
Le premier valet de chambre salua.
— Merci de me constituer le héraut d'une aussi bonne nouvelle. J'espère que votre mission chez la reine est moins délicate.
— C'est seulement une information que je lui dois apporter à la demande du roi.
Ils rejoignirent la salle des gardes de la reine.
— N'hésitez pas, dit Ville d'Avray en pressant le pas, à faire fond sur ma bienveillance. Votre ami La Borde vous hébergeait naguère lors de vos séjours à Versailles. Soyez assuré qu'il y aura toujours une couchette pour vous. Le roi a divisé les cabinets des entresols, anciennement occupés par la comtesse du Barry. Il en a donné partie à M. de Maurepas et le reste, qui est au-dessus de sa tête, à moi-même. Je lui suis attaché depuis sa prime enfance et il a beaucoup de bontés à mon égard.
— Je vous sais gré de votre proposition.
Nicolas se réserva de déterminer plus tard si cette offre s'adressait à une puissance à ménager ou s'il s'agissait d'une simple et honnête marque de bienveillance.
— Comme vous l'avez constaté, reprit Ville d'Avray, chacun se rassemble chez Mme de Maurepas. C'est la vraie cour, un endroit agréable pour politiquer. Tout ce qui compte – les ministres les premiers – fréquente ce lieu d'assemblée fort commode et l'on y refait le
Weitere Kostenlose Bücher