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Le crime de l'hôtel Saint-Florentin

Titel: Le crime de l'hôtel Saint-Florentin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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M. de Sartine et La Borde apparurent dans une symphonie de gris qui conforta le commissaire dans le choix de son habit. M. d'Arranet présenta Semacgus au ministre qui rappela avec humour avoir eu le bonheur d'innocenter le chirurgien de marine dans une affaire criminelle où il avait été à tort embastillé, quatorze ans auparavant 58 . Il soutint cela avec cet air d'assurance satisfaite qui faisait toujours enrager Nicolas, pourtant habitué à l'appropriation des succès de ses gens par l'ancien lieutenant général de police. Il se méprenait sur l'objet de son irritation ; elle ne visait pas M. de Sartine, ou par défaut ; il venait en fait de comprendre qu'il s'agissait d'un souper d'hommes et que Mlle d'Arranet ne paraîtrait pas. Il s'étonna lui-même de sa vive contrariété. Des boissons furent servies et la compagnie s'égaya. La Borde entraîna aussitôt Nicolas dans le jardin. Il souhaitait s'épancher. La santé de sa jeune femme ne s'améliorait guère, en dépit du rigoureux traitement auquel elle était soumise. Son irritation nerveuse persistait, accompagnée de convulsions et d'une mélancolie que rien ne parvenait à dissiper. Il était difficile de la sortir de son désintérêt. Nicolas fut atterré de retrouver son ami si soucieux. Il le sentait toujours aussi éprouvé de la perte du roi. Il n'avait pas mesuré, quelques jours auparavant chez Noblecourt, combien factice était sa bonne humeur et comme il s'était attaché, par délicatesse, à ne point assombrir la soirée donnée en l'honneur de Louis. Il l'assura de sa fidélité et de son souhait d'être présenté à Mme de La Borde dès que le moment serait plus propice. Tribord annonça que le ministre était servi ; on passa à table.
    Nicolas soupçonna la main d'Aimée dans la disposition et la discrète élégance de la table. Des pièces d'orfèvrerie armoriées développaient un éblouissant chemin de table auquel se mêlaient des fleurs piquées dans des morceaux de corail blanc. M. de Sartine présidait au bout de la table, l'hôte à sa gauche et M. de La Borde à sa droite. Tribord surveillait la manœuvre des cinq valets qui se tenaient derrière les invités afin de les servir et de leur verser à boire. La première série de plats présentés comprenait des moules à la poulette, du turbot pané à la Sainte-Menehould et une gigantesque truite en bataille figée dans sa gelée accompagnée de pannequets de crevettes roses et de légumes sculptés. Du vin de champagne et du bourgogne blanc attendaient dans des rafraîchissoirs de vermeil.
    — Amiral, dit Sartine, vous me faites l'honneur d'une créature des profondeurs peu commune. Je n'en avais jamais croisé de cette taille depuis celles qui apparaissaient parfois aux petits soupers du feu roi, apportées de Suisse à bride abattue par des courriers en relais. Combien pèse-t-elle ? Douze, quinze livres ?
    — Plus que cela ! dit Arranet épanoui. Elle fait bien ses vingt livres et nageait encore hier matin dans le lac de Genève. J'aime le poisson frais, encore que certains prétendent le faire mortifier quelques jours pour en rehausser le goût. Je n'en suis pas.
    — Cela vaut pour la raie, dit Semacgus, immangeable le premier jour. Il faut pourtant prendre garde et mesure garder. Un rien de trop et la bête s'ammoniaque et devient puante.
    — Pêche-t-on sur nos vaisseaux ?
    — Durant de longues traversées, cela peut être une heureuse diversion et une amélioration appréciée de l'ordinaire du bord. Je revois encore Semacgus, par le travers de Tarente, attrapant à la ligne une quinzaine de thons d'affilée ! L'équipage croyait manger de la viande fraîche. C'était sur la frégate Cassiopée .
    — Sinon toujours du bœuf et du porc salé ?
    — Toujours, dit le comte, souvent avancés et corrompus. Tenez, il y a une réforme à faire pour l'approvisionnement.
    — Vous n'embarquez jamais du bétail vif ou de la volaille ?
    — Diantre si ! Au départ et à chaque escale. Mais il ne dure guère, et au premier combat c'est un massacre. Il suffit d'un boulet de traverse dans un sabord, et adieu la basse-cour.
    — Je constate, dit Sartine pensif, qu'approvisionner la marine n'est pas une mince affaire. J'arrive dans cette maison avec le souci d'apprendre. Et je n'ai jamais navigué.
    — Ni moi, dit La Borde.
    — J'ai franchi la Manche sur un paquebot, intervint Nicolas.
    — Monsieur le comte, reprit Sartine, vous qui êtes un

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