Le crime de l'hôtel Saint-Florentin
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— J'en ai entendu parler, répondit Sartine. Sans pourtant bien saisir son utilité.
— Elle est plus courte, ne possède pas de roues et son affût est constitué de deux plateaux de bois pouvant coulisser l'un sur l'autre. Son grand intérêt, outre cela, est de posséder une ligne de mire et une manette à tige filetée permettant de donner à la pièce l'angle de tir désiré. À double charge ou bourrée à mitraille, la caronade fait des ravages…
Sartine réfléchissait. Il jeta un coup d'œil autour de lui. Les valets avaient desservi le second service, personne ne pouvait entendre ses propos.
— J'ai le projet, mes amis, de créer un service chargé de recueillir les informations sur la flotte anglaise et sur ce que nous préparent ces messieurs de l'amirauté : tout cela est encore un peu vague dans mon esprit. Il y va du salut de l'État d'être mieux renseigné. Il faudra un peu recruter et trouver les hommes à la mesure de ce grand projet.
Il jeta un long et éloquent regard à Nicolas. Les valets revinrent. Le comte fit diversion.
— La frégate est la reine des combats, déclara-t-il ; vive et maniable. Le soixante-quatorze a la force du feu et peut encore manœuvrer. Au-delà, ce sont des monstres ingouvernables dont les pertes sont proportionnelles à la masse. Songez : près de neuf cents hommes à bord ! Il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier… Enfin, monsieur, une dernière chose : il m'apparaît nécessaire de développer l'infanterie sur nos vaisseaux. À la mer, nos équipages ne sont pas armés. On leur distribue fusils, piques et barres d'anspect. Or, il serait opportun de renforcer un corps qui offre le recours de son feu nourri lors des combats rapprochés ou des abordages.
— Un coup de feu bien assuré qui tue le commandant peut changer l'issue d'un combat, dit Semacgus. Cela s'est vu.
Le troisième service s'apprêtait avec ses entremets, gâteaux au lard, ramequins de fromage d'Italie, perdrix à la purée, canard à l'espagnole, tendrons de veau au kari du Bengale, cardons au gratin et céleris frits.
Le ministre assura sa perruque des deux mains, geste qui dénotait chez lui l'expression d'une grande satisfaction.
— Nous n'avons pas fait le tour de la question, dit-il, mais vos considérations m'ont édifié d'une manière toute particulière. J'envisage de mener mon enquête sur le terrain. Je commencerai par un voyage d'études en Bretagne. L'administration de nos ports et arsenaux retiendra mon attention. J'ai en vue de creuser de nouveaux bassins de radoub et d'augmenter la capacité de construction des vaisseaux de ligne. Que diriez-vous, amiral, de m'aider à préparer cette visite et de m'y accompagner ? J'ai grand besoin de l'œil et de l'avis d'un homme qui a navigué, combattu et commandé ! Plus tard, quand un plan d'action sera sur pied, nous nous adjoindrons un autre officier de valeur, le chevalier de Fleurieu qui, pour le moment, met au point nos horloges marines de précision afin de calculer au mieux la longitude. L'homme plaira au roi qui goûte ce genre de recherches.
— Monseigneur, je suis aux ordres du ministre, dit Arranet ravi et se dressant à moitié sur son siège.
— Voilà donc une chose dite ! Présentez-vous dès que possible à mes bureaux. Mes commis auront ordre de vous installer au plus près. Nous travaillerons de conserve. Nicolas, contez-nous un peu la chronique de la ville, elle me manque. Cela nous égayera de ces propos si sévères.
— La rumeur, répondit Nicolas, touche à l'opéra et au théâtre, comme toujours ! Elle relate qu'à Vienne, l'empereur s'est pris d'affection envers le chevalier Gluck et ne consent plus que ce musicien quitte sa cour. Pour se l'attacher plus sûrement, il vient de le faire bénéficier d'une pension de deux mille écus. Par égard pour sa sœur, notre reine, et pour ne le point priver des avantages qu'il retire en France, l'empereur l'autorise d'y venir tous les ans pour monter quelques-uns de ses ouvrages.
— Sa Majesté n'appréciera guère la façon dont son frère traite son musicien préféré.
— Elle a vivement remercié M. de Vaucanson de son choix, hier, après que « Le Flûteur » a modulé des arias de Gluck.
— Il faut dire, remarqua La Borde, que Ranreuil fait événement à la cour. Tout Versailles bruit de sa faveur. Audience privée du roi, entretien en tête à tête avec Mme de Maurepas, conversation avec le
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