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Le crime de l'hôtel Saint-Florentin

Titel: Le crime de l'hôtel Saint-Florentin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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auparavant du marquis de Ranreuil – qu'il adressa à son fils. Il la corrigea avec soin et la recopia au propre, puis, après l'avoir cachetée, se consacra à sa toilette en vue du souper chez le comte d'Arranet.
    Il se rasa avec une dextérité qui lui venait de son père. Quand le besoin s'en était fait sentir, et au grand scandale du chanoine Le Floch, pour qui tout soin du corps était œuvre du démon, le marquis lui en avait inculqué le rudiments et offert un petit traité de progotonie enseignant l'art de se raser soi-même sans péril, ainsi que la connaissance des pierres propres à affiler les lames et les moyens de préparer les cuirs pour les repasser. Il choisit un habit gris sombre couleur Suie de cheminée de Londres , modèle récent de l'atelier de maître Vachon, son tailleur, dont la discrète élégance s'accordait à cette fin de période de deuil. Il sortit de son portemanteau des manchettes de fine dentelle de Malines, une cravate et une chemise éclatantes de blancheur, fruits des soins conjugués de Catherine et de Marion : la vieille servante avait appris à sa protégée l'usage du fer à braises, que la fréquentation des camps ne favorisait guère. Il coiffa ses cheveux, assura sa perruque, la poudra, rangea les cheveux qui dépassaient avec une petite main d'agate et vérifia le reflet flatteur que lui renvoyait le miroir tacheté de la coiffeuse. Enfin, il fixa l'épée ancienne qu'un commissionnaire venu de Bretagne avait déposée rue Montmartre, enveloppée dans une couverture, sans un mot d'explication, deux ans auparavant. Nicolas avait reconnu l'épée de parade du marquis de Ranreuil et supposé dans cette transmission une attention de sa demi-sœur Isabelle. Déjà, peu après la mort de son père, elle lui avait fait tenir la chevalière aux armes de la famille qu'un jour, à son tour, Louis porterait. La nostalgie le submergea un instant. Il ferma les yeux et revit la grève sauvage de l'océan, entendit presque les cris des oiseaux de mer au-dessus de lui…

    Ayant renvoyé la voiture de cour, il fit appeler un fiacre pour se rendre à l'hôtel d'Arranet. La nuit était tombée sur une nature apaisée, le vent s'étant justement calmé à l'heure du serein. L'hôtelier s'empressait autour de lui, multipliant les attentions, soudain persuadé avoir affaire à quelque important personnage voyageant incognito. Depuis Pierre le Grand, les princes du nord affectaient la fausse humilité de ces déplacements au secret simulé. Il est vrai que Nicolas, par son air sérieux et son mutisme, donnait à penser.
    Arrivé à destination, il fut accueilli par le redoutable laquais-matelot qui le salua d'un clin d'œil complice.
    — Mon gentilhomme, l'amiral se trouve dans la bibliothèque avec ce sacré boucher de revoyure. Faut dire que c'est lui qui m'a recousu la gueule foutrement traversée par un biscayen. L'a fait en un tournemain ; mais je croquais fort dans un bout d'cuir imbibé de rhum. Ah ! le bougre, l'avait du savoir-faire et, vingt dieux, c'est sacrément bon de l'revoir !
    — Tribord, vous me plaisez, dit Nicolas en lui glissant un double louis dans la main. Le docteur Semacgus est aussi mon ami.
    Il était heureux de découvrir des aspects inconnus du chirurgien de marine. Le laquais ouvrit la porte de la bibliothèque. À la chaude odeur des chandelles se mêlait l'exotique parfum de la liqueur des isles. Devant l'une des deux croisées ouvertes, le comte d'Arranet parlait avec Semacgus. Leurs propos étaient entrecoupés de grands rires. Nicolas fut frappé de la majesté du vieil officier général qui, pour l'occasion, avait revêtu l'uniforme. Culotte rouge feu, pourpoint ton sur ton galonné et surbrodé d'or, habit bleu sur lequel pendait le cordon de l'ordre de Saint-Louis passé sous l'épaulette du côté droit ; tout concourait à la magnificence du commandement. Cet ensemble chatoyait aux lumières et relevait encore par son allure martiale l'énergique visage du maître de maison. Semacgus, en habit noir et perruque poudrée, servait à son ancien chef et compagnon d'armes de distingué faire-valoir.
    — Ah ! Voici Ranreuil, dit l'amiral se retournant. Vous êtes tous deux en pays de connaissance.
    La conversation allait s'engager quand le bruit de plusieurs voitures, s'arrêtant devant les degrés du perron, les interrompit. L'hôte posa son verre et se précipita, une main soutenant sa jambe blessée, pour accueillir les nouveaux arrivants.

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