Le Crime De Paragon Walk
Mrs. Pitt, comme c’est gentil à vous d’être venue. Je suppose que vous êtes là pour réconforter la pauvre Emily après l’horreur qu’on vient de vivre. N’est-ce pas terrifiant?
Charlotte répondit par des onomatopées polies, fouillant son esprit à la recherche d’une question utile, mais Miss Lucinda n’avait guère besoin qu’on lui donne la réplique.
— On se demande où l’on va, poursuivit-elle avec véhémence. De mon temps, ces choses-là n’arrivaient pas dans la bonne société. Quoique, ajouta-t-elle avec un coup d’œil en direction de sa sœur, j’en aie connu aussi dont les mœurs laissaient à désirer !
— Ah oui? fit Miss Laetitia, haussant ses sourcils quasi inexistants. Moi, je ne m’en souviens pas, mais tu devais avoir un cercle de fréquentations plus large que le mien.
Le visage rond de Miss Lucinda se crispa, mais elle ignora cette remarque et, haussant légèrement une épaule, regarda Charlotte.
— J’imagine que vous êtes au courant, Mrs. Pitt? Cette pauvre chère Fanny Nash a été ignoblement agressée, puis poignardée à mort. Nous en sommes toutes retournées. Les Nash habitent le quartier depuis des lustres, des générations même, dirais-je; c’est une excellente famille. Tenez, hier encore, j’ai parlé à Mr. Afton, le frère aîné. Il est d’une dignité, ne trouvez-vous pas?
Elle s’empourpra, regarda Selena, ensuite Emily et revint vers Charlotte.
— Un homme aussi tempérant, qui aurait cru que sa sœur finirait de la sorte ? Certes, Mr. Diggory est beaucoup plus... plus libéral...
Elle avait prononcé ce mot avec soin.
— ... dans ses goûts. Mais comme je le dis toujours, un homme peut se permettre des choses, pas forcément agréables, qui seraient impensables chez une femme... même la plus immorale.
A nouveau, elle leva l’épaule et jeta un bref coup d’œil à sa sœur.
— D’après vous donc, Fanny aurait mérité de se faire agresser? demanda Charlotte sans détour.
Elle sentit un mouvement de stupeur chez les autres, mais n’y fit pas attention, les yeux rivés sur la figure rose de Miss Lucinda.
Celle-ci renifla.
— Franchement, Mrs. Pitt, ces choses-là arrivent rarement aux femmes... chastes ! Elles évitent de se trouver dans ce genre de situation. Je suis sûre que vous n’avez jamais été attaquée ! Pas plus que l’une d’entre nous, d’ailleurs.
— Ce n’est peut-être qu’une question de chance.
Puis, pour ne pas mettre Emily dans l’embarras,
Charlotte ajouta :
— S’il s’agit d’un fou, il aurait pu s’imaginer des tas de choses entièrement fausses, n’est-ce pas, et totalement dépourvues de fondement?
— Je ne fréquente pas les fous, déclara Miss Lucinda, farouche.
Charlotte sourit.
— Ni moi les violeurs, Miss Horbury. Ce ne sont que de simples suppositions.
Miss Laetitia lui adressa un sourire, si fugace qu’il disparut presque aussitôt.
Miss Lucinda renifla de plus belle.
— Mais certainement, Mrs. Pitt. Vous n’avez pas cru, j’espère, que je parlais par expérience ! Je vous assure, je ne faisais que compatir à la douleur du pauvre Mr. Nash... vous pensez, une disgrâce pareille dans sa famille !
— Une disgrâce !
Charlotte était trop en colère pour tenir sa langue.
— Moi, j’appelle ça une tragédie, Miss Horbury, l’horreur si vous préférez, mais sûrement pas une disgrâce.
— Eh bien ! se rebiffa Miss Lucinda. Eh bien, franchement...
— C’est Mr. Nash qui l’a dit? persista Charlotte, ignorant le coup de pied d’Emily. Est-ce lui qui a parlé de disgrâce?
— Honnêtement, je ne me souviens pas de ses paroles, mais il était tout à fait conscient du caractère... scabreux de la situation !
Elle frissonna et aspira bruyamment l’air par les narines.
— Moi-même, je suis terrifiée rien que d’y penser. Si vous habitiez ici, Mrs. Pitt, vous ressentiriez la même chose. Voyons, notre bonne, la pauvre
enfant, s’est évanouie ce matin quand le groom d’à côté lui a adressé la parole. Ça nous fait trois de nos belles tasses en moins !
— Vous pourriez peut-être la rassurer en lui disant que l’individu en question a pris la poudre d’escampette? suggéra Charlotte. Maintenant que la police enquête et que tout le monde le recherche, je doute qu’il soit resté dans le coin.
— Ah, mais il ne
Weitere Kostenlose Bücher