Le Crime De Paragon Walk
George pour poser gracieusement pied à terre sans que le chapeau noir glisse de manière plus polissonne encore ; puis, côte à côte avec tante Vespasia, suivit Emily et George à travers le portail et le long de l’allée vers l’entrée de l’église. A l’intérieur, l’orgue jouait la marche funèbre, avec plus d’entrain que ne le voulait la bienséance et quelques notes si fausses que même Charlotte grimaça en les entendant. Elle se demanda si l’organiste était un professionnel ou bien un amateur enthousiaste recruté au hasard.
Le service lui-même fut extrêmement ennuyeux, mais, fort heureusement, bref. L’officiant ne souhaitait peut-être pas évoquer les circonstances de la mort, dans toute leur réalité matérielle, en un lieu aussi immatériel. Elles s’accordaient mal avec les vitraux, la musique d’orgue et les délicats reniflements dans les mouchoirs en dentelle. La mort était douleur et maladie, terreur devant le pas ultime, long et aveugle. Et Fanny n’en avait connu ni la résignation ni la dignité. Non pas que Charlotte ne crût pas en Dieu ou en la résurrection : c’était cette tendance à noyer les vérités sordides dans le rituel qu’elle détestait. Toute cette cérémonie complexe, coûteuse, de deuil était destinée à soulager la conscience des vivants, afin qu’ils eussent l’impression d’avoir payé leur tribut pour pouvoir décemment oublier Fanny et se consacrer aux plaisirs de la saison. Cela n’avait rien à voir avec la jeune fille et l’affection éventuelle qu’on lui portait.
Ensuite, tout le monde se rendit au cimetière pour l’inhumation. L’air, chaud et lourd comme s’il avait déjà été respiré, sentait vaguement le renfermé. Les longues semaines sans pluie avaient asséché la terre, et les fossoyeurs avaient dû l’attaquer à coups de pioche. Le seul endroit humide était sous les ifs, de plus en plus penchés : il s’en dégageait une vieille odeur âcre, comme si les racines s’étaient nourries de trop de cadavres.
— C’est ridicule, ces enterrements, siffla tante Vespasia à côté d’elle. Le plus grand étalage de complaisance en société; c’est encore pire qu’Ascot. Chacun cherche à voir qui exhibe son chagrin avec le plus d’ostentation. Certaines femmes savent qu’elles portent bien le noir; on les rencontre à tous les enterrements mondains, même si elles ne connaissaient pas le défunt. C’est ce que faisait Maria Clerkenwell. Elle a connu son premier mari aux obsèques de son cousin. C’est lui qui menait le deuil, puisqu’il héritait du titre. Maria n’avait jamais entendu parler du mort avant d’avoir lu la nouvelle dans la rubrique mondaine : c’est là qu’elle a décidé d’y aller.
Charlotte admira secrètement son initiative; c’était tout à fait dans le style d’Emily. Elle contempla par-dessus la fosse béante, derrière les porteurs qui, rouges et luisants de sueur, tenaient les cordons du poêle, Jessamyn Nash, pâle et droite tout au fond. L’homme à côté d’elle n’était pas beau du tout, mais son visage n’était pas désagréable; on le sentait souriant de nature.
— C’est son mari? questionna Charlotte doucement.
Vespasia suivit son regard.
— Diggory, acquiesça-t-elle. Un peu libertin, mais de loin le meilleur des Nash. Non pas que ce soit lui accorder beaucoup de mérite.
D’après ce que Charlotte avait entendu d’Afton et vu de Fulbert, elle fut encline à lui donner raison. Profitant d’être à l’abri de son voile, elle poursuivit son examen. C’était très pratique, un voile, vraiment. C’était la première fois qu’elle en mettait un, mais elle s’en souviendrait à l’avenir. Diggory et Jessamyn se tenaient à une légère distance l’un de l’autre; il ne fit aucun effort pour la toucher ou la soutenir. En fait, son attention allait plutôt à l’épouse d’Afton, Phoebe, qui avait une mine épouvantable. Ses cheveux semblaient tomber d’un côté, et son chapeau de l’autre; malgré une ou deux faibles tentatives pour les rajuster, elle ne fit qu’aggraver les choses. Comme tout le monde, elle était en noir, mais sa robe à elle semblait poussiéreuse, d’un noir de suie, contrairement au noir de jais, éclatant, de la robe de Jessamyn. Le visage inexpressif, Afton se tenait au garde-à-vous à côté d’elle. S’il éprouvait quelque chose, il n’avait pas l’intention de s’abaisser à le montrer.
Le
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