Le Crime De Paragon Walk
pasteur leva la main pour réclamer l’attention. Les murmures se turent. Il se mit à psalmodier les paroles familières. Pourquoi toujours psalmodier? se demanda Charlotte. C’était tellement moins sincère que de parler normalement. Elle n’avait encore jamais entendu quelqu’un qui fût réellement ému s’exprimer de la sorte. Quand on était accaparé par le contenu, on ne se souciait pas de la forme. Dieu n’était-Il pas la dernière personne à se laisser affecter par les grands airs et les beaux habits ?
Levant les yeux derrière son voile, elle se demanda si d’autres pensaient la même chose, ou s’ils étaient tous dûment impressionnés. Jessamyn baissait la tête : elle était raide, blanche et belle comme un lis, un peu figée peut-être, mais tout à fait comme il faut. Phoebe pleurait. Selena Montague était d’une pâleur très seyante, bien qu’à en juger par ses lèvres elle dût aider la nature ; ses yeux brillaient d’un éclat fébrile. Elle se tenait près d’un homme singulièrement élégant, grand et mince, d’une souplesse qui trahissait un corps musclé, contrairement à la grâce éthérée, assez féminine, de la plupart des dandys. Nu-tête comme les autres hommes, sa chevelure brune était lisse et épaisse. Charlotte vit, lorsqu’il se retourna, la ligne parfaite qu’elle formait sur sa nuque. Elle n’eut pas besoin de demander à Vespasia qui c’était. Avec un petit frisson d’excitation, elle comprit : c’était le beau Français, celui que se disputaient Jessamyn et Selena !
Elle ignorait qui gagnait pour le moment, mais il avait pris place à côté de Selena. Ou alors était-ce Selena qui avait pris place à côté de lui ? En tout cas, le pôle d’attraction, c’était Jessamyn. Près de la moitié des regards dans la congrégation étaient tournés vers elle. Le Français était l’un des rares à fixer le cercueil que l’on descendait maladroitement dans la tombe ouverte. Deux hommes armés de pelles se tenaient respectueusement à l’écart, tellement accoutumés à ce genre de cérémonie qu’ils adoptaient la bonne posture sans même y penser.
Parmi les quelques personnes qui semblaient en proie à une réelle émotion, il y avait un homme, du même côté de la fosse que Charlotte et Vespasia. Elle le remarqua tout d’abord à la raideur de ses épaules, comme si tous ses muscles étaient contractés à l’intérieur. Sans réfléchir, elle se rapprocha un peu pour essayer d’entrevoir son visage, si jamais il se retournait au moment où l’on comblait la fosse.
La voix chantante du pasteur reprit l’ancienne litanie : la terre à la terre, la poussière à la poussière. L’homme pivota pour voir les mottes d’argile heurter le couvercle, et Charlotte vit son visage de profil, puis de face. C’était un visage aux traits burinés et à la peau grêlée, marqué en cet instant précis par quelque douleur profonde et déchirante. Etait-ce à cause de Fanny? De la mort en général? Ou bien plaignait-il les vivants parce qu’il connaissait ou pressentait l’existence des « sépulcres blanchis » dont avait parlé Fulbert? Ou alors avait-il peur?
Reculant, Charlotte effleura le bras de Vespasia.
— Qui est-ce?
— Hallam Cayley. Il est veuf. Sa femme était une Cardew. Elle est morte il y a deux ans environ. Jolie fille, beaucoup d’argent, mais une cervelle d’oiseau.
Voilà qui expliquait sa raideur et le désarroi douloureux qu’on lisait sur son visage. Elle aussi observait peut-être les gens autour d’elle et s’interrogeait sur eux pour ne pas songer à d’autres enterrements, qui la touchaient de près et dont le souvenir était trop pénible à évoquer.
La cérémonie était terminée. Lentement, avec infiniment de décorum, ils se tournèrent comme un seul homme et rebroussèrent chemin en direction des équipages. Ils se retrouveraient à Paragon Walk, chez Afton Nash, pour le buffet obligatoire. Alors seulement le rituel serait accompli.
—■ Je vois que vous avez remarqué le Français, dit Vespasia dans un souffle.
Charlotte envisagea de feindre l’innocence et décida que ça ne marcherait pas.
— A côté de Selena?
— Evidemment.
Ils avancèrent en procession dans l’allée étroite, sous le porche et dehors sur le trottoir. Afton, en tant qu’aîné, monta dans sa voiture le premier, suivi de Jessamyn puis, quelques instants après, de Diggory. Ce dernier était en
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