Le Crime De Paragon Walk
j’ai eu peur que vous ne vous étrangliez en faisant un faux mouvement. Pourquoi diantre avoir appelé le valet, ma chère? Ou est-ce une question à ne pas poser devant les autres?
— Je n’ai pas appelé le valet. Je... j’ai juste... enfin, le vent a fait bouger le rideau. J’ai été surprise et j’ai...
Elle était cramoisie à présent, et Charlotte imagina aisément à quel point elle devait se sentir stupide, comme si toute l’assistance pouvait la voir, effrayée et les vêtements de nuit en désordre. Elle chercha une réplique percutante pour sa défense, un trait acéré à décocher à Afton, mais rien ne vint.
Ce fut Fulbert qui parla, indolemment, un lent sourire aux lèvres. Il passa un bras autour de Phoebe, mais son regard était sur Afton.
— Vous n’avez rien à craindre, ma chère. Ce que vous faisiez ne concerne que vous.
Son visage se creusa, comme animé d’une hilarité cachée.
— Je doute que ce soit l’un de vos valets, mais même si c’était le cas, il ne commettrait sûrement pas l’imprudence de vous agresser sous votre propre toit. Et vous avez plus de chance que les autres femmes du quartier... au moins, vous savez parfaitement que ce n’est pas Afton. Nous le savons tous !
Il sourit à George.
— Plût au ciel que le reste d’entre nous soit pareillement au-dessus de tout soupçon !
George cligna des yeux : il n’avait pas vraiment saisi l’allusion, mais sa cruauté déguisée ne lui avait pas échappé.
Instinctivement, Charlotte se tourna vers Afton. Elle ignorait totalement la raison de la haine froide, implacable, qui flamba dans ses yeux, mais le choc qu’elle ressentit lui donna la nausée. Elle eut envie de se cramponner au bras d’Emily, de toucher quelque chose de chaud, d’humain, puis de s’enfuir de cette pièce aux reflets de crêpe noir à l’air libre, dans la verdure de l’été, et de rentrer en courant chez elle, dans sa petite rue poussiéreuse et étroite avec ses marches blanchies à la chaux, ses maisons agglutinées les unes aux autres et ses femmes qui travaillaient toute la journée.
Charlotte avait hâte que Pitt rentre à la maison. Elle avait répété une douzaine de fois ce qu’elle allait lui dire, et chaque fois ce fut différent. Elle en oublia complètement de faire la poussière sur les étagères et de saler les légumes. Elle donna à Jemima deux portions de pudding, à la grande joie de l’enfant, mais au moins sa fille avait été changée et dormait à poings fermés lorsque Pitt arriva enfin.
Il avait l’air fatigué. Son premier geste fut d’ôter ses bottes et de vider ses poches des innombrables objets qui s’y étaient accumulés durant la journée. Elle lui apporta une boisson fraîche, déterminée à ne pas commettre la même erreur que la veille.
— Comment va Emily? demanda-t-il au bout d’un moment.
— Ça va à peu près.
Elle retint presque son souffle pour ne pas vider son sac d’un trait.
— C’était horrible, ce matin. Je suppose qu’au fond d’eux-mêmes ils ressentent la même chose que nous, mais rien ne transparaît. C’était complètement... vide.
— Ont-ils parlé d’elle... de Fanny?
— Non ! dit-elle en secouant la tête. Absolument pas. On savait à peine qui on enterrait. J’espère que, quand je mourrai, les gens qui seront là ne parleront que de moi.
Il sourit soudain, d’un grand sourire enfantin.
— Ils auront beau faire, ma chérie, ce sera quand même beaucoup trop calme sans vous !
Elle chercha des yeux quelque chose d’inoffensif à lui lancer à la tête, mais elle n’avait que la cruche de citronnade sous la main, trop lourde, et, de toute façon, ils n’avaient pas les moyens de la remplacer. Elle se contenta donc de faire la grimace.
— N’avez-vous rien appris? questionna-t-il.
— Je ne le crois pas. Seulement ce qu’Emily m’avait déjà dit. J’ai eu un tas d’impressions bizarres, mais j’ignore ce qu’elles signifient, ou s’il faut leur chercher une signification. J’avais des quantités de choses à vous raconter avant votre arrivée, mais je ne retrouve plus le fil. Les Nash sont tous antipathiques, sauf peut-être Diggory. Je n’ai pas vraiment eu l’occasion de faire sa connaissance, mais il a mauvaise réputation. Selena et Jessamyn se détestent, mais ça n’a rien à voir : c’est à cause d’un Français beau comme un dieu. Les seuls
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