Le Crime De Paragon Walk
qu’Emily la voyait aussi décontenancée. C’en était inquiétant.
— Quelle nouvelle ? Ça concerne Fanny ?
— Aucune idée, fit Vespasia, haussant les sourcils. Apparemment, non.
— Alors, de quoi s’agit-il?
Emily trépignait, ne sachant s’il fallait s’affoler ou non. George avait posé sa fourchette et fixait sa tante d’un air tendu.
— Il paraît que Fulbert Nash a disparu.
Vespasia prononça ces paroles comme si elle-
même avait peine à y croire.
George exhala un soupir, et la fourchette tomba de sa main.
— Comment ça, disparu? fit-il lentement. Il est parti, mais où ça?
— Si je le savais, George, je n’aurais pas parlé de disparition ! rétorqua Vespasia d’un ton inhabituelle-ment cassant. Personne ne sait où il est. Là est le problème. Il n’est pas rentré hier soir, alors qu’il ne devait même pas dîner dehors, et on ne l’a pas vu de la nuit. D’après son valet, il n’avait pas d’autres vêtements que le costume d’été qu’il portait à midi.
— Tous les cochers ou valets sont-ils à la maison? s’enquit George. Quelqu’un a-t-il pris un message ou appelé un cab pour lui?
— Il semble que non.
— Ma foi, il n’a pas pu s’évanouir dans les airs ! Il doit bien être quelque part !
— Sûrement.
Fronçant les sourcils de plus belle, Vespasia prit enfin un toast qu’elle tartina de beurre et de confiture d’abricots.
— Mais personne ne sait où. Ou alors, si quelqu’un le sait, il se garde bien de le dire.
— Doux Jésus !
George la dévisagea, bouche bée.
— Vous n’insinuez tout de même pas qu’il a été assassiné !
Emily avala son thé de travers.
— Je n’insinue rien du tout.
D’un mouvement du bras, Vespasia désigna Emily pour que George lui vienne en aide.
— Tape-lui dans le dos, pour l’amour du ciel !
Elle attendit pendant que George s’exécutait,
jusqu’à ce qu’Emily le repousse pour reprendre son souffle.
— Je m’interroge, sans plus. De toute façon, il y aura des insinuations, déplaisantes, cela va sans dire, dont nécessairement celle-ci.
Elle avait vu juste, même si Emily dut attendre le lendemain pour s’en assurer. Arrivée chez Jessa-myn, elle y trouva Selena. Si peu de temps après la mort de Fanny, les visites mondaines se limitaient à leur propre cercle restreint, pour une raison de convenances, certes, mais surtout pour leur permettre d’en discuter à leur aise.
— J’imagine que vous n’avez toujours pas de nouvelles? demanda Selena anxieusement.
— Aucune, répondit Jessamyn. On dirait que la terre s’est ouverte et l’a englouti. Phoebe est venue ce matin et, naturellement, Afton s’est renseigné discrètement dans la mesure du possible, mais il n’est dans aucun de ses clubs en ville, et on n’a trouvé personne qui lui ait parlé.
— Il n’avait pas quelqu’un à voir à la campagne? s’enquit Emily.
Les sourcils de Jessamyn s’arquèrent.
— A cette époque de l’année?
— On est en pleine saison, ajouta Selena d’un ton méprisant. Qui songerait à quitter Londres maintenant?
— Fulbert, peut-être, repartit Emily, piquée au vif. Apparemment, il a quitté Paragon Walk sans un mot d’explication. S’il se trouvait à Londres, où serait-il, sinon ici ?
— Ça tombe sous le sens, concéda Jessamyn, puisqu’il n’est dans aucun club, pas plus qu’en visite chez des amis.
— Je préfère ne pas envisager les autres solutions, dit Selena en frissonnant, pour se contredire aussitôt. Mais il le faut.
Jessamyn la regarda.
Selena n’avait pas l’intention de faire machine arrière.
— Ne nous voilons pas la face, ma chère. Il est possible qu’on ait cherché à le neutraliser.
Le visage fin de Jessamyn était très pâle.
— Vous voulez dire, assassiner? demanda-t-elle doucement.
— Hélas, oui.
Il y eut un moment de silence. Emily réfléchissait fébrilement. Qui aurait pu tuer Fulbert, et pourquoi ? L’autre explication était à la fois pire et aussi infiniment rassurante, sauf qu’elle n’osait la formuler : le suicide. Si, tout compte fait, c’était lui qui avait tué Fanny, il aurait pu trouver l’issue dans cet acte désespéré.
Jessamyn continuait à fixer le vide. Ses longues mains délicates reposaient, figées, sur ses genoux, comme si elle ne
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