Le Crime De Paragon Walk
pareil, repartit-elle du tac au tac. Et monter sur tes grands chevaux ne t’avancera à rien. Tu risques de dire des choses dont tu te repentiras par la suite. Je suis bien placée pour le savoir ! Si quelqu’un ici est capable de réfléchir avant de parler, c’est bien toi. Je t’en supplie, ne perds pas cette faculté au moment où tu en as le plus besoin.
Emily la contempla, une sensation de froid au creux de l’estomac.
— Que veux-tu dire ? Explique-toi !
Charlotte ne bougea pas d’un pouce.
— Je veux dire que si tes craintes te rendent soupçonneuse ou si George sent que tu n’as pas confiance en lui, jamais tu ne pourras remplacer ce que tu auras détruit, même si tu le regrettes profondément ensuite ou que tout cela te semble dérisoire, une fois que tu connaîtras la vérité. Et résigne-toi à ne jamais savoir peut-être qui a tué Fanny. Les crimes ne sont pas tous résolus.
Emily s’assit brusquement. Il était consternant de penser qu’ils n’auraient jamais la réponse, qu’ils passeraient le reste de leur vie à se regarder et à se poser des questions. La moindre affection, la moindre soirée paisible, la plus simple conversation, offre d’aide ou de compagnie seraient ternies par l’incertitude, la pensée fugace... serait-ce celui-ci qui avait tué Fanny, ou celle-là qui était au courant ?
— Il faut qu’on découvre la vérité ! insista-t-elle, refusant de capituler. Si c’est l’un d’entre nous, on le saura forcément. Une épouse, un frère, un ami finiront bien par tomber sur un indice !
— Pas nécessairement.
Charlotte la regarda en secouant légèrement la tête.
— S’il a réussi à cacher son jeu pendant aussi longtemps, pourquoi pas jusqu’à la fin de ses jours? Peut-être quelqu’un le sait-il déjà. Mais il ou elle n’est pas forcé de l’admettre, pas même en son for intérieur. Il y a des choses qu’on n’a pas envie de s’avouer.
— Un viol ? souffla Emily, incrédule. Mais pourquoi, au nom du ciel, une femme protégerait-elle un homme qui a... ?
Le visage de Charlotte s’assombrit.
— Pour mille raisons. Qui aimerait croire que son mari ou son frère est un violeur et un assassin ? On peut fermer les yeux définitivement sur ce qui s’est passé, si on le veut vraiment. Ou se convaincre que cela ne se reproduira plus, que ce n’était pas réellement sa faute. Tu l’as constaté toi-même, la moitié des gens d’ici ont déjà décidé que Fanny était une fille facile, qu’elle l’avait cherché, voire mérité...
— Arrête!
S’extirpant de son lit, Emily se planta rageusement devant Charlotte.
— Tu n’as pas le monopole de la vérité, tu sais ! Ta suffisance me rend malade. Nous ne sommes pas tous des hypocrites à Paragon Walk, juste parce que nous avons du temps et de l’argent, et que nous nous habillons bien, pas plus que vous dans ta petite rue minable, parce que vous travaillez toute la journée. Vous aussi avez vos mensonges et vos convenances !
Charlotte était très pâle, et Emily fut immédiatement prise de remords. Elle aurait voulu lui tendre
les mains, la serrer dans ses bras, mais elle n’osa pas. Elle lui jeta un regard apeuré. Charlotte était la seule personne à qui elle pouvait parler, qui l’aimait inconditionnellement, avec qui elle pouvait partager les craintes et les désirs cachés que toute femme nourrit dans son cœur.
— Charlotte?
Charlotte ne bougea pas.
— Charlotte? insista Emily. Je suis désolée.
— Je sais, répondit Charlotte tout bas. Tu aimerais connaître la vérité sur George, et ça te fait peur.
Le temps cessa d’exister. Pendant quelques secondes immobiles, Emily hésita. Puis elle posa la question fatidique.
— Tu es au courant? Thomas te l’a dit?
Charlotte ne savait pas mentir. Bien que plus
âgée, elle n’avait jamais réussi à duper Emily dont l’œil perçant, exercé, décelait la réticence, l’indécision avant le mensonge.
— Oui, fit Emily, répondant à sa propre question. Dis-le-moi.
Charlotte fronça les sourcils.
— C’est du passé maintenant.
— Dis-le-moi, répéta Emily.
— Ne serait-il pas mieux...
Emily attendit. Elles savaient toutes deux que la vérité, quelle qu’elle fût, valait mieux que l’épuisant va-et-vient entre la peur et l’espoir, le laborieux effort pour se leurrer soi-même, les affres
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