Le Crime De Paragon Walk
d’une imagination débridée.
— Est-ce Selena? demanda-t-elle.
— Oui.
Finalement, ce n’était pas si terrible que ça. Peut-être s’en doutait-elle déjà sans vouloir l’admettre.
Était-ce donc ça dont George avait si peur? Que c’était bête! Vraiment très bête. Elle allait y mettre le holà, bien sûr. Elle s’arrangerait pour faire perdre ses airs sournois à Selena, la dépouiller de sa complaisance. Elle ignorait encore comment, ou même si elle ferait comprendre à George qu’elle était au courant. Elle joua avec l’idée de le laisser mariner dans ses angoisses, d’attendre que la peur le ronge pour qu’il n’oublie pas de sitôt combien cela pouvait faire mal. Et si elle ne lui en parlait pas du tout?
Charlotte la regardait anxieusement, guettant sa réaction. Souriante, Emily revint à l’instant présent.
— Merci, dit-elle posément, presque gaiement. Maintenant, je sais à quoi m’en tenir.
— Emily...
— Ne t’inquiète pas.
Elle toucha Charlotte du bout des doigts.
— Je ne vais pas me quereller avec lui. D’ailleurs, je crois que je ne vais rien faire, du moins pour le moment.
Pitt continuait ses investigations dans Paragon Walk. Forbes avait recueilli des informations étonnantes sur Diggory Nash. Au fond, il n’y avait pas vraiment de quoi être surpris, et Pitt s’en voulait de s’être laissé influencer dans ses opinions par ses préjugés. Au vu du raffinement extérieur, du confort, de l’argent, et parce que ces gens-là menaient tous la même vie, venaient à Londres pour la saison, fréquentaient les mêmes clubs et les mêmes cercles, il avait déduit qu’ils étaient tous pareils sous leurs habits uniformément élégants et leurs manières uniformément policées.
Diggory Nash était un joueur à la tête d’une fortune qu’il n’avait pas méritée et qui courtisait, presque par habitude, toutes les femmes tant soit peu avenantes et disponibles. Mais c’était aussi quelqu’un de généreux. Pitt fut déconcerté et honteux de son propre jugement rapide quand Forbes lui apprit que Diggory subventionnait un asile pour femmes sans domicile. Elles étaient légion, les jeunes servantes enceintes qu’on mettait chaque année à la porte des maisons respectables ; une fois à la rue, elles finissaient dans un atelier crasseux, un hospice pour pauvres ou un bordel. Quelle surprise que ce fût Diggory Nash, précisément, qui offrît un abri précaire à certaines d’entre elles ! Un vieux remords, peut-être? Ou bien simple pitié?
D’une manière ou d’une autre, ce fut avec embarras que Pitt franchit la porte du petit salon de Jessa-myn. Elle ne se doutait pas des pensées qu’il avait entretenues, mais lui les connaissait, et cela suffisait à le rendre inhabituellement gauche et timide. L’idée que Jessamyn n’était probablement pas au courant des activités de Diggory ne le consolait guère.
Lorsqu’elle parut, il fut à nouveau frappé par l’impact émotionnel de sa beauté. C’était bien plus qu’une question de carnation ou de symétrie des pommettes et du front. C’était dans la courbe de ses lèvres, l’éclat quasi insoutenable de ses yeux bleus, son cou gracile. Pas étonnant qu’elle s’empare de ce qu’elle désirait : tout lui était accordé d’avance. Et pas étonnant que Selena n’accepte pas de capituler devant cette créature sublime. Il se demanda fugitivement, avant qu’elle ne lui adresse la parole, comment Charlotte aurait réagi face à une telle rivale, si par exemple elle aussi avait jeté son dévolu sur le Français? L’une ou l’autre aimaient-elles réellement Alaric, ou représentait-il simplement un prix, l’enjeu symbolique de la victoire?
— Bonjour, inspecteur, dit Jessamyn tranquillement.
Vêtue de soie vert pâle, elle avait l’air aussi fraîche et ferme qu’une jonquille.
— Je ne vois pas ce que je peux faire de plus, mais si vous avez encore des questions, je tâcherai naturellement d’y répondre.
— Merci, madame.
Il attendit qu’elle se fût assise et prit place à son tour, comme d’habitude, laissant ses basques retomber au petit bonheur.
— Nous n’avons toujours pas, hélas, retrouvé la trace de Mr. Fulbert.
Le visage de Jessamyn se crispa imperceptiblement. Elle contempla ses mains.
— Je m’en doute, sinon vous nous auriez prévenus. Vous n’êtes pas venu uniquement pour me
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