Le Crime De Paragon Walk
c’était son problème.
Le nombre de convives était relativement restreint, comparé aux soirées habituelles chez les Dil-bridge. Charlotte ne vit que deux ou trois visages inconnus. Il y avait là Simeon Isaacs, avec Albertine Dilbridge, au grand dam de Lady Tamworth. Les demoiselles Horbury s’étaient habillées en rose, couleur qui s’avéra remarquablement flatteuse pour Miss Laetitia.
Auréolée de gris argenté, Jessamyn Nash resplendissait. Elle seule était capable d’insuffler la vie à cette teinte-là tout en préservant son aspect fantomatique. L’espace d’un instant, Charlotte se surprit à l’envier.
Soudain, elle aperçut Paul Alaric, debout à côté de Selena, la tête légèrement penchée pour l’écouter, élégant et vaguement ironique.
Relevant le menton, Charlotte se dirigea vers eux avec un sourire éblouissant.
— Mrs. Montague, fit-elle avec entrain, je suis ravie de vous trouver en aussi bonne forme.
Elle ne voulait pas insister trop lourdement, surtout devant Alaric. Même si elle l’amusait, la rosserie ne devait pas lui plaire beaucoup.
Selena parut surprise. Visiblement, elle s’était attendue à autre chose.
— Ma santé est excellente, je vous remercie, répondit-elle, les sourcils arqués.
Pendant qu’elles échangeaient des banalités polies, Charlotte, en la regardant de plus près, constata que les apparences ne l’avaient pas trompée. Selena semblait se porter comme un charme. Elle n’avait rien d’une femme qui aurait récemment subi une agression et l’outrage d’un viol. Ses yeux brillaient ; le rose de ses joues était si intense et en même temps si délicat que — Charlotte en était convaincue — il ne devait rien à l’artifice. Ses gestes étaient un peu rapides et saccadés ; son regard faisait le tour de la salle. Si c’était là une preuve de courage, un défi au consensus tacite selon lequel une femme outragée avait mérité son sort et devait s’en souvenir sa vie entière, alors, malgré toute son antipathie, Charlotte ne pouvait que l’admirer.
Elle ne fit plus allusion à l’incident, et la conversation roula sur d’autres sujets, les bagatelles, les dernières nouveautés de la mode. Finalement, elle s’éloigna, laissant Selena seule avec Alaric.
— Elle a une mine splendide, ne trouvez-vous pas ? fit Grâce Dilbridge en secouant la tête. Je me demande comment elle peut supporter ça, la pauvre.
— Je pense qu’il faut avoir beaucoup de courage, répliqua Charlotte.
Il ne lui était pas facile de complimenter Selena, mais elle le fit par honnêteté.
— On ne peut que l’admirer pour ça.
— L’admirer!
Rouge de colère, Miss Lucinda pivota sur elle-même.
— Admirez qui vous voulez, Mrs. Pitt, mais moi, j’appelle cela de l’impudence. Elle déshonore les femmes dans leur ensemble. Franchement, je crois que j’irai passer la prochaine saison ailleurs. Ce sera très dur pour moi, mais Paragon Walk a été souillée au-delà de tout entendement.
Charlotte fut trop surprise pour répondre, et même
Grâce Dilbridge se trouva momentanément à court de mots.
— De l’impudence, répéta Miss Lucinda en toisant Selena qui se dirigeait au bras d’Alaric vers les portes-fenêtres ouvertes.
Alaric souriait, mais quelque chose dans l’inclinaison de sa tête trahissait la courtoisie plutôt que l’intérêt. Il paraissait même vaguement amusé.
Miss Lucinda renifla.
Charlotte retrouva enfin sa voix.
— C’est une remarque très méchante, Miss Hor-bury, et tout à fait injuste ! Mrs. Montague a été la victime et non l’auteur du crime.
— Quelle ineptie!
C’était Afton Nash, pâle, les yeux luisants.
— J’ai du mal à croire que vous soyez réellement aussi naïve, Mrs. Pitt. Les charmes féminins exercent un attrait incontestable... sur certains.
Il la détailla des pieds à la tête avec un mépris qui parut la dépouiller de son superbe satin et l’offrir nue à la curiosité et à la dérision générales.
— Mais si vous imaginez qu’ils puissent pousser un homme à forcer une femme contre son gré, vous surestimez votre sexe.
Il eut un sourire glacial.
— Il y en a suffisamment qui ne demandent que ça, qui trouvent même un plaisir pervers dans la violence et la soumission. Pas besoin de risquer sa réputation en agressant une femme qui ne veut pas de vous, quoi qu’elles en disent par
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