Le Crime De Paragon Walk
sou.
— C’est bien malheureux, concéda Vespasia. Voilà un art
qui ne s’apprend guère. Ou vous l’êtes, ou vous ne l’êtes pas.
— Charlotte ne l’est pas.
— J’espère qu’elle reviendra nous voir. Ce serait
amusant. Tout le monde m’ennuie ici. À moins que Jessamyn et Selena ne se
disputent plus énergiquement le Français, nous serons obligées de nous
distraire autrement, sinon l’été risque de devenir un calvaire. Êtes-vous en état
d’assister à l’enterrement de cette pauvre enfant ? Vous n’avez pas oublié
que c’est pour après-demain ?
Emily avait oublié.
— Je pense que ça ira, mais j’ai envie de demander à
Charlotte de m’accompagner. Ce sera certainement éprouvant, et j’aimerais l’avoir
ici, près de moi.
Ce serait également l’occasion de réparer l’injustice de la
veille.
— Je vais lui écrire tout de suite pour lui en parler.
— Il faudra lui prêter quelque chose de noir, l’avertit
Vespasia. Servez-vous donc dans ma garde-robe : je crois qu’elle a
davantage ma stature. Demandez à Agnès d’ajuster ma robe lavande à sa taille. Si
elle s’y met dès maintenant, ce sera tout à fait présentable au moment voulu.
— Merci, vous êtes très bonne.
— Sottises. Je peux toujours m’en faire confectionner
une autre, si j’en ai envie. En revanche, trouvez-lui un chapeau et un châle
noirs. Moi, je n’en ai pas, j’ai horreur du noir.
— Vous-même, vous ne porterez pas de noir à l’enterrement ?
— Je n’en ai pas. Je mettrai du lavande. Ainsi, votre
sœur ne sera pas toute seule. Personne n’osera la critiquer, si je porte du
lavande moi aussi.
Charlotte fut surprise de recevoir la lettre d’Emily, mais
lorsqu’elle l’ouvrit, une vague de soulagement l’envahit. Sa sœur s’excusait
simplement, non par respect des convenances, mais pour exprimer un sincère
regret. Elle en fut si heureuse qu’elle faillit manquer la partie concernant l’enterrement.
Qu’elle ne s’inquiète donc pas pour la tenue, mais pourrait-elle avoir la
gentillesse de venir car Emily apprécierait grandement sa présence dans un
moment pareil. Un équipage viendrait la chercher le matin, si seulement elle
pouvait s’arranger pour faire garder Jemima.
Bien sûr qu’elle irait, pas seulement parce que Emily le lui
demandait, mais parce que tout le voisinage serait là, et elle ne voulait pas
rater l’occasion de les voir tous. Elle en parla à Pitt le soir même, sitôt qu’il
eut franchi le seuil.
— Emily me demande d’aller à l’enterrement avec elle, annonça-t-elle
tout en le serrant dans ses bras. Après-demain. Je laisserai Jemima à Mrs. Smith
– ça ne la dérange pas –, et Emily enverra un équipage. Elle m’a déjà organisé
une robe !
Pitt ne chercha pas à savoir comment on « organisait »
une robe, et comme elle se tortillait pour se dégager afin de mieux lui en
parler, il la lâcha avec un sourire amusé.
— Vous êtes sûre que vous voulez y aller ? Ce ne
sera pas très gai.
— Emily a besoin de moi, dit-elle comme si cela
expliquait tout.
Il comprit aussitôt, à son regard lumineusement direct, que
la vraie raison était ailleurs. Elle voulait y aller par curiosité.
À la vue de son large sourire, Charlotte sut qu’il n’était
absolument pas dupe. Haussant les épaules, elle sourit à son tour.
— D’accord, j’ai envie de les voir. Mais je promets de
regarder seulement, c’est tout. Je ne m’en mêlerai pas. Qu’avez-vous appris ?
J’ai le droit de savoir, puisque ça concerne Emily.
Le visage de Pitt s’assombrit, et il s’assit, les coudes sur
la table. Il avait l’air fatigué et chiffonné. Elle se reprocha immédiatement
son égoïsme : à force de penser à Emily, elle ne s’était pas souciée des
sentiments de son mari. Elle venait juste d’apprendre une bonne recette de
citronnade, sans recourir à la quantité de coûteux fruits frais qu’elle aurait
utilisée avant son mariage. Elle la conservait dans un seau d’eau froide sur
les pierres près de la porte de service. Rapidement, elle remplit un verre et
le posa devant Pitt. Elle ne répéta pas sa question.
Il vida le verre d’un seul trait avant de lui répondre.
— J’essaie de vérifier l’emploi du temps de chacun. Malheureusement,
personne ne se souvient si George était à son club ce soir-là. J’ai insisté
aussi lourdement que j’ai pu, mais ils sont incapables de faire la
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