Le Crime De Paragon Walk
résurrection : c’était cette tendance à noyer les vérités
sordides dans le rituel qu’elle détestait. Toute cette cérémonie complexe, coûteuse,
de deuil était destinée à soulager la conscience des vivants, afin qu’ils
eussent l’impression d’avoir payé leur tribut pour pouvoir décemment oublier
Fanny et se consacrer aux plaisirs de la saison. Cela n’avait rien à voir avec
la jeune fille et l’affection éventuelle qu’on lui portait.
Ensuite, tout le monde se rendit au cimetière pour l’inhumation.
L’air, chaud et lourd comme s’il avait déjà été respiré, sentait vaguement le
renfermé. Les longues semaines sans pluie avaient asséché la terre, et les
fossoyeurs avaient dû l’attaquer à coups de pioche. Le seul endroit humide
était sous les ifs, de plus en plus penchés : il s’en dégageait une
vieille odeur âcre, comme si les racines s’étaient nourries de trop de cadavres.
— C’est ridicule, ces enterrements, siffla tante
Vespasia à côté d’elle. Le plus grand étalage de complaisance en société ;
c’est encore pire qu’Ascot. Chacun cherche à voir qui exhibe son chagrin avec
le plus d’ostentation. Certaines femmes savent qu’elles portent bien le noir ;
on les rencontre à tous les enterrements mondains, même si elles ne
connaissaient pas le défunt. C’est ce que faisait Maria Clerkenwell. Elle a
connu son premier mari aux obsèques de son cousin. C’est lui qui menait le
deuil, puisqu’il héritait du titre. Maria n’avait jamais entendu parler du mort
avant d’avoir lu la nouvelle dans la rubrique mondaine : c’est là qu’elle
a décidé d’y aller.
Charlotte admira secrètement son initiative ; c’était
tout à fait dans le style d’Emily. Elle contempla par-dessus la fosse béante, derrière
les porteurs qui, rouges et luisants de sueur, tenaient les cordons du poêle, Jessamyn
Nash, pâle et droite tout au fond. L’homme à côté d’elle n’était pas beau du
tout, mais son visage n’était pas désagréable ; on le sentait souriant de
nature.
— C’est son mari ? questionna Charlotte doucement.
Vespasia suivit son regard.
— Diggory, acquiesça-t-elle. Un peu libertin, mais de
loin le meilleur des Nash. Non pas que ce soit lui accorder beaucoup de mérite.
D’après ce que Charlotte avait entendu d’Afton et vu de Fulbert,
elle fut encline à lui donner raison. Profitant d’être à l’abri de son voile, elle
poursuivit son examen. C’était très pratique, un voile, vraiment. C’était la
première fois qu’elle en mettait un, mais elle s’en souviendrait à l’avenir. Diggory
et Jessamyn se tenaient à une légère distance l’un de l’autre ; il ne fit
aucun effort pour la toucher ou la soutenir. En fait, son attention allait
plutôt à l’épouse d’Afton, Phœbe, qui avait une mine épouvantable. Ses cheveux
semblaient tomber d’un côté, et son chapeau de l’autre ; malgré une ou
deux faibles tentatives pour les rajuster, elle ne fit qu’aggraver les choses. Comme
tout le monde, elle était en noir, mais sa robe à elle semblait poussiéreuse, d’un
noir de suie, contrairement au noir de jais, éclatant, de la robe de Jessamyn. Le
visage inexpressif, Afton se tenait au garde-à-vous à côté d’elle. S’il
éprouvait quelque chose, il n’avait pas l’intention de s’abaisser à le montrer.
Le pasteur leva la main pour réclamer l’attention. Les murmures
se turent. Il se mit à psalmodier les paroles familières. Pourquoi toujours
psalmodier ? se demanda Charlotte. C’était tellement moins sincère que de
parler normalement. Elle n’avait encore jamais entendu quelqu’un qui fût
réellement ému s’exprimer de la sorte. Quand on était accaparé par le contenu, on
ne se souciait pas de la forme. Dieu n’était-Il pas la dernière personne à se
laisser affecter par les grands airs et les beaux habits ?
Levant les yeux derrière son voile, elle se demanda si d’autres
pensaient la même chose, ou s’ils étaient tous dûment impressionnés. Jessamyn
baissait la tête : elle était raide, blanche et belle comme un lis, un peu
figée peut-être, mais tout à fait comme il faut. Phœbe pleurait. Selena
Montague était d’une pâleur très seyante, bien qu’à en juger par ses lèvres
elle dût aider la nature ; ses yeux brillaient d’un éclat fébrile. Elle se
tenait près d’un homme singulièrement élégant, grand et mince, d’une souplesse
qui trahissait
Weitere Kostenlose Bücher