Le Crime De Paragon Walk
absolument pas où il est. Il n’a manifesté aucune
intention de partir.
Il grimaça.
— Ni aucun signe de peur.
— Peur ?
Pitt voulait lui laisser le champ libre pour entendre tout
ce qu’il avait à dire.
Afton lui lança un regard méprisant.
— Je ne vais pas nier l’évidence, Mr. Pitt. Compte tenu
de ce qui est récemment arrivé à Fanny, il n’est pas impossible que Fulbert
soit mort, lui aussi.
Pitt se percha de biais sur l’accoudoir d’un fauteuil.
— Pourquoi, Mr. Nash ? Celui qui a tué votre sœur
ne pouvait raisonnablement pas avoir le même mobile.
— Celui qui a tué Fanny a agi ainsi pour la faire taire.
Celui qui a tué Fulbert, à supposer qu’il soit mort, l’a fait pour la même
raison.
— D’après vous, Fulbert savait qui c’était ?
— Ne me prenez pas pour un imbécile, Mr. Pitt !
Afton s’essuya à nouveau le nez.
— Si je savais qui c’est, je vous l’aurais dit. Mais on
peut rationnellement supposer que Fulbert était au courant, et que c’est pour
ça qu’il a été tué.
— Il nous faudra retrouver le corps ou du moins sa
trace avant de conclure au meurtre, Mr. Nash, fit remarquer Pitt. Jusqu’à
présent, rien ne nous indique qu’il n’a pas simplement choisi de partir.
— Sans vêtements, sans argent, seul ?
Les yeux pâles d’Afton s’étrécirent.
— C’est peu probable, Mr. Pitt.
Sa voix douce trahissait sa lassitude devant tant de
stupidité.
— Il a pu faire nombre de choses que nous aurions
jugées improbables.
Pitt savait cependant que même en changeant radicalement de
mode de vie, on avait tendance à garder ses habitudes personnelles, ses petites
manies, ses goûts culinaires, ses distractions préférées. Et il doutait que
Fulbert fût prudent – ou désespéré – au point de partir sans assurer ses arrières
en matière de confort. Il était accoutumé à mettre des habits propres qu’un
valet lui préparait tous les matins. Et, s’il comptait quitter Londres, il
aurait indiscutablement besoin d’argent.
— Néanmoins, acquiesça-t-il, vous devez avoir raison. Qui
est, à votre connaissance, la dernière personne à l’avoir vu ?
— Son valet, Price. Vous pouvez lui parler si vous y
tenez, mais je l’ai déjà interrogé, et il ne vous apprendra rien. Tous les vêtements
et les effets personnels de Fulbert sont là, et, ce soir-là, il n’avait
normalement pas de rendez-vous à l’extérieur.
— Autrement, son valet l’aurait su, puisqu’il aurait dû
sortir une tenue pour Mr. Fulbert, ajouta Pitt.
Afton parut légèrement surpris de le voir aussi bien renseigné :
à l’évidence, cela l’agaçait. Il se tamponna le nez et grimaça : à force
de friction, il commençait à avoir la peau irritée.
Pitt sourit, sans se départir de son sérieux, mais pour
montrer à Afton qu’il avait compris.
— Tout à fait, confirma ce dernier. Il a quitté la
maison vers six heures, disant qu’il serait là pour le dîner.
— Mais il n’a pas précisé où il allait ?
— S’il l’avait fait, inspecteur, je vous l’aurais dit !
— Et il n’est pas revenu, personne ne l’a revu depuis ?
Afton le fusilla du regard.
— Quelqu’un a dû le voir, j’imagine.
— Il aurait pu aller jusqu’au bout de la rue et prendre
un cab. Ce n’est pas ce qui manque par ici.
— Pour aller où, nom d’une pipe ?
— Eh bien, s’il est toujours à Paragon Walk, Mr. Nash, alors
où est-il ?
Une lueur de compréhension perça dans le regard d’Afton. Apparemment,
il n’y avait pas songé, mais il n’existait dans les parages ni rivières, ni
puits, ni bois, ni jardins assez spacieux pour y creuser un trou discrètement, ni
granges ni celliers abandonnés. Et il y avait toujours des jardiniers, des
valets, des majordomes, des filles de cuisine ou des grooms pour relever les
traces. Il n’y avait nulle part où dissimuler un cadavre.
— Trouvez celui dont l’équipage a quitté Paragon Walk
ce soir-là ou bien le lendemain matin, ordonna-t-il hargneusement. Fulbert n’était
pas très grand. N’importe qui aurait pu le transporter en cas de besoin – sauf
peut-être Algernon –, surtout s’il était déjà inconscient ou mort.
— J’en ai bien l’intention, Mr. Nash, répondit Pitt. Ainsi
que d’interroger les cochers de fiacre, les garçons de course, envoyer des
instructions à tous les postes de police, transmettre son signalement à toutes
les gares
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