Le Crime De Paragon Walk
faut se méfier de ceux dont on ignore les origines.
Un bon conseil, occupez-vous de lui. Adressez-vous à la police française :
elle vous aidera peut-être.
Pitt n’y avait pas songé ; il s’en voulut d’autant plus
qu’il avait fallu un imbécile comme Freddie Dilbridge pour le lui faire remarquer.
— Oui, monsieur, ce sera fait.
— Il a peut-être déjà commis des viols en France, qui
sait !
Freddie s’anima, haussa la voix, content de sa propre sagacité.
— Et Fulbert l’a découvert. Il y avait de quoi le tuer,
hein, qu’en dites-vous ? Oui, renseignez-vous sur M. Alaric avant son
arrivée ici. Je vous garantis que vous trouverez le mobile de votre meurtre. Je
vous le garantis ! Et maintenant, pour l’amour du ciel, laissez-moi
prendre mon petit déjeuner. Je me sens abominablement mal !
Grace Dilbridge avait une tout autre opinion là-dessus.
— Oh non ! déclara-t-elle d’emblée. Freddie n’est
pas dans son assiette ce matin, ou il n’aurait pas suggéré une chose pareille. C’est
quelqu’un de loyal, vous savez. Il ne lui viendrait pas à l’idée de prêter à
ses amis des intentions… tant soit peu… indélicates. Mais je vous assure,
M. Alaric est un homme tout à fait charmant et civilisé. Fanny, la pauvre
enfant, le trouvait irrésistible, comme ma propre fille d’ailleurs, jusqu’à ce
qu’elle s’entiche de Mr. Isaacs. Je ne vois vraiment pas ce que je vais en
faire !
Elle rougit aussitôt de s’être laissée aller à des
confidences devant un individu qui ne valait guère mieux qu’un marchand.
— Mais ça va lui passer, ajouta-t-elle à la hâte. C’est
sa première saison, voyez-vous, et il est normal qu’elle ait des soupirants.
Pitt sentit qu’il était en train de perdre le fil. Il s’efforça
de la ramener en arrière.
— M. Alaric…
— Sottises ! répéta-t-elle avec conviction. Mon
mari connaît les Nash depuis des années ; il répugne donc à l’admettre, même
intérieurement, mais il est évident que Fulbert s’est enfui parce que c’est lui
et personne d’autre qui a malmené la pauvre Fanny. Il a dû la prendre pour une
bonne dans le noir, mais quand il a découvert qui c’était, et qu’elle l’a vu, naturellement
il a été obligé de la tuer pour la faire taire. C’est parfaitement lamentable !
Sa propre sœur ! Mais les hommes sont lamentables quelquefois : c’est
dans leur nature, et ça remonte à Adam. Nous sommes conçus dans le péché, et
certains d’entre nous n’arrivent pas à en sortir.
Pitt eut beau chercher une réponse, ses pensées revenaient
sur les propos de Grace et cette hypothèse qui ne l’avait pas encore effleuré :
que Fulbert ait pu prendre Fanny pour quelqu’un d’autre, une bonne, une fille
de cuisine, quelqu’un qui n’aurait jamais osé accuser un gentleman de l’avoir
forcée, qui se serait peut-être même laissé faire, voire qui l’aurait encouragé.
Puis, lorsqu’il se serait aperçu qu’il s’agissait de sa sœur, l’horreur et la
honte non seulement du viol mais de l’inceste auraient conduit bon nombre d’hommes
paniqués jusqu’au meurtre. Et cela était valable pour les trois frères Nash !
L’énormité de ce constat, les nouvelles perspectives qu’il lui ouvrait lui
donnaient le vertige. Les visions se bousculaient dans son imagination à l’infini.
Il fallait reprendre tout le problème de zéro, ou presque.
Grace continuait à parler, mais il ne l’écoutait plus. Il
avait besoin de temps pour réfléchir, de se retrouver dehors, au soleil, pour
revoir tout ce qu’il savait sous ce nouveau jour. Il se leva. Certes, il lui
coupait la parole, mais il n’y avait pas d’autre moyen pour s’échapper.
— Votre aide m’a été infiniment précieuse, Lady
Dilbridge. Je vous en suis très reconnaissant.
Il la gratifia d’un sourire éblouissant et, l’abandonnant à
sa perplexité, sortit dans le vestibule, puis sur le perron, les basques
flottantes. La bonne sur les marches s’écarta, le balai sur l’épaule comme un
garde présentant les armes.
À l’issue d’une longue semaine, suffocante et chargée, Charlotte
lui annonça qu’Emily donnait une réception. Pitt imaginait mal la chose, sinon
qu’elle avait lieu dans l’après-midi et que Charlotte était invitée. Il était
préoccupé par les nouvelles qu’il attendait de Paris concernant Paul Alaric et
par la profusion de détails sur la vie privée des habitants
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