Le Crime De Paragon Walk
n’allait pas renoncer aussi facilement.
— Qui d’autre ? Croyez-vous qu’il savait qui avait
tué Fanny, et que ceci explique cela ?
— Ah ! souffla Vespasia lentement. Nous y voilà. Hélas,
je ne suis pas en mesure de vous répondre. J’ai passé et repassé en revue tout
ce que je sais. À vrai dire, je m’attendais à cette question de votre part.
Elle posa sur Charlotte son regard perçant, un regard de
vieille femme, remarquable de clarté et d’intelligence.
— Et je vous conseille, ma fille, de tenir votre langue
un peu mieux que vous ne l’avez fait jusqu’à présent. Si Fulbert connaissait
réellement l’assassin de Fanny, cela ne lui a pas réussi. Il y a au moins un
secret à Paragon Walk qui m’a l’air extrêmement dangereux. J’ignore lequel d’entre
eux a causé la mort de Fulbert, alors oubliez-les tous !
Charlotte sentit un frisson glacé la parcourir, comme si l’on
avait ouvert une porte donnant sur l’extérieur par une journée d’hiver. Elle n’avait
pas songé qu’elle pouvait courir un danger. Toutes ses craintes avaient été
pour Emily, qu’elle apprenne les faiblesses, les lâchetés de George. La
violence ne l’inquiétait pas, ni pour Emily, ni encore moins pour elle-même. Mais
s’il existait à Paragon Walk un secret tellement redoutable que Fulbert avait
perdu la vie simplement pour l’avoir découvert, manifester sa curiosité serait
assurément dangereux, et le connaître, fatal. La seule explication possible, c’était
l’identité du violeur. Il avait tué Fanny pour se protéger. Car il ne pouvait y
avoir deux assassins dans la même rue… n’est-ce pas ?
Ou bien Fulbert était-il tombé sur quelque autre secret, et
sa victime, encouragée par un premier meurtre jusque-là impuni, avait
simplement adopté la même solution pour régler son problème ? Thomas
disait qu’un crime en appelait un autre ; les gens, surtout les esprits
faibles et dérangés, avaient tendance à copier les opportunistes.
— Vous m’entendez, Charlotte ? s’enquit Vespasia
quelque peu abruptement.
— Ah ? Oui, oui, bien sûr.
Charlotte revint à l’instant présent, au salon inondé de
soleil et à la vieille dame en dentelles écrues assise en face d’elle.
— Je n’en parle à personne, à l’exception de Thomas. Mais
quoi d’autre ? Je veux dire, quels sont les autres secrets que vous
connaissez ?
Vespasia émit un grognement.
— Vous n’en faites qu’à votre tête, hein ?
— Vous ne voulez pas savoir ?
Charlotte soutint son regard sans ciller.
— Bien sûr que si ! rétorqua Vespasia, acide. Et
si j’en meurs, à mon âge ça n’a plus grande importance. Je n’en ai plus pour
longtemps, de toute façon. Si j’avais quelque chose d’utile à vous apprendre, ne
pensez-vous pas que je l’aurais déjà fait ? Pas à vous, mais à votre drôle
de policier.
Elle toussota.
— George a fait la cour à Selena. Je n’ai pas de
preuves, mais je connais George. Petit, il prenait les jouets des autres
enfants quand ça lui chantait et mangeait leurs bonbons. Il rendait toujours
les jouets et n’hésitait pas à prêter les siens. Tout était à lui. C’est ça, l’ennui
avec un enfant unique. Vous avez un enfant, n’est-ce pas ? Eh bien, faites-en
un autre !
Charlotte ne trouva rien de pertinent à lui répondre. Elle
avait bien l’intention d’avoir un autre enfant, si telle était la volonté de
Dieu. En attendant, son souci, c’était Emily.
Vespasia le comprit.
— Il sait que je suis au courant, fit-elle avec douceur.
Il a beaucoup trop peur en ce moment pour commettre une bêtise. En fait, il
verdit littéralement chaque fois que Selena s’approche de lui. Ce qui n’est pas
très fréquent, sauf quand elle veut montrer au Français qu’elle a du succès. Pauvre
sotte ! Comme si ça l’intéressait !
— Quels autres secrets ? insista Charlotte.
— Rien de particulier. Je doute que Miss Laetitia s’en
prenne à quelqu’un parce qu’il aura appris la liaison scandaleuse qu’elle a eue
il y a trente ans.
Charlotte resta sans voix.
— Miss Laetitia ? Laetitia Horbury ?
— Eh oui ! Une liaison cachée, naturellement, mais
très choquante à l’époque. N’avez-vous pas relevé les petites piques que Miss
Lucinda lance sans cesse sur sa moralité et ainsi de suite ? La pauvre
femme est rongée par la jalousie. Ma foi, si c’est Laetitia qu’on avait tuée, je
n’aurais
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