Le Dernier Caton
debout.
— J’ai une audience avec Sa Sainteté et Son Éminence le cardinal Sodano dans quinze minutes, annonça-t-il. Il s’agit d’une réunion très importante, je serai donc absent quelques heures. Étudiez la corniche suivante dans le texte de Dante pendant ce temps et à mon retour nous nous occuperons des préparatifs.
Sans un mot de plus, il se dirigea vers la sortie. Un lourd silence l’accompagna. J’hésitais à demander à Farag ce qui s’était passé.
— Tu sais quoi, Ottavia ? commença-t-il en regardant encore la porte, Glauser-Röist est fou.
— Tu n’aurais pas dû insister pour qu’il se repose. Quand quelqu’un est obstiné et têtu, ça ne sert à rien de le contrarier, même s’il risque sa vie !
— Mais non, ce n’est pas ça ! (Il me regarda avec une expression bizarre et dit :) « Suis-je le gardien de mon frère ? » Je sais très bien qu’il est assez grand pour faire ce qu’il veut, mais j’ai l’impression que cette affaire des stavrophilakes est en train de le rendre cinglé. Ou bien il veut gagner une médaille et prouver qu’il est Superman, ou bien il utilise cette aventure comme d’autres la boisson, pour oublier, se détruire.
— J’ai eu un peu la même idée ce matin. Pour toi et moi, tout cela représente une simple aventure à laquelle nous nous retrouvons mêlés involontairement, par intérêt et curiosité. Mais cette affaire signifie beaucoup plus pour lui. La mort de mon père et de mon frère, le fait que tu aies tout perdu en Égypte, tout cela lui est égal. Il nous oblige à mener une course contre la montre comme si le vol d’une seule relique de plus était une catastrophe épouvantable.
— Je ne crois pas que ce soit tout à fait juste, me corrigea Farag en fronçant les sourcils. Je crois qu’il a eu de la peine pour ta famille, et que ma situation actuelle le préoccupe. Mais il est certain qu’il est obsédé par la confrérie de la Croix. Ce matin, en se réveillant, il a immédiatement appelé Sodano. Ils ont parlé pendant un bon moment et, au cours de la conversation, il a été obligé de s’allonger ; autrement il se serait écroulé. Ensuite, sans même prendre son petit déjeuner, il s’est enfermé dans son bureau et a sorti des dossiers. Tandis que je me préparais, je l’entendais marcher de long en large dans la maison en s’asseyant de temps en temps. Il n’a rien pris ni bu depuis le sandwich du Cloaca Maxima.
— Il est fou, déclarai-je.
Nous gardâmes de nouveau le silence comme si le sujet était épuisé, mais je suis sûre que nous pensions la même chose. Finalement, je poussai un long soupir et dit :
— On s’y met ? Chant XIII, la deuxième corniche.
— Et si tu lisais à voix haute ? proposa-t-il en s’installant dans un fauteuil et en posant les pieds sur une caisse. On pourra commenter les passages au fur et à mesure.
— Tu veux que je lise, moi ?
— Je pourrais le faire bien sûr, mais je suis confortablement installé, et je préfère te regarder.
Je choisis d’ignorer son commentaire déplacé, et commençai à réciter les vers de Dante :
Noi eravamo al sommo de la scala
dove secondamente si risega
lo monte che salendo altrui dismala.
— Ce qui signifie : « Nous étions au sommet de l’escalier, où pour la deuxième fois s’entaille le mont qui ôte le mal par la montée. »
Nos alter ego, Virgile et Dante, arrivent sur une corniche plus petite que la première et avancent d’un bon pas en cherchant quelqu’un qui pourrait leur indiquer comment poursuivre leur ascension. Soudain, Dante entend des voix qui disent : Vinum non habenus 17 , « Je suis Oreste » et « Aimez qui vous a fait du mal ».
— Je n’y comprends rien ! dis-je en levant les yeux du texte.
— Ce sont des références à des exemples classiques d’amour du prochain, précisément ce qui manque aux personnages de ce cercle. Continue à lire, et tu verras.
Curieusement, Dante pose la même question que moi à Virgile, et l’homme de Mantoue lui répond :
Et le bon maître : « Ce cercle-ci fustige
le péché d’envie, et c’est pourquoi
les cordes du fouet sont tressées d’amour.
Il faut que le frein soit fait d’un son contraire
je crois que tu l’entendras, je l’imagine,
avant d’arriver au seuil du pardon.
Mais tends ton regard fixement dans l’air
et tu verras des gens assis devant nous ;
ils sont tous appuyés au
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