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Le Dernier Caton

Le Dernier Caton

Titel: Le Dernier Caton Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Matilde Asensi
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effrénée que je dus arrêter au bout de quelques mètres.
    — Je ne peux pas, Farag ! gémis-je en me laissant tomber sur la route. Je suis trop fatiguée.
    — Ottavia, écoute-moi ! Lève-toi et cours !
    Aucune compassion ou trace d’affection dans ce ton autoritaire.
    — J’ai très mal à la jambe droite, j’ai dû froisser un muscle. Je ne peux pas continuer. Vas-y, toi, laisse-moi.
    Il se pencha vers moi, me prit par les épaules et me secoua en me fixant :
    — Si tu ne te mets pas debout tout de suite, si tu ne te mets pas à courir vers Athènes, je te dis ce que je n’arrivais pas à te dire tout à l’heure. Et si je le fais… (Il pencha doucement son visage vers le mien, ses lèvres étaient à quelques millimètres de ma bouche.) Je le ferai de telle sorte que tu ne pourras plus jamais te sentir chaste de toute ta vie. Choisis. Si tu viens à Athènes avec moi, je n’insisterai plus jamais.
    J’eus brusquement une horrible envie de pleurer, de blottir ma tête contre sa poitrine et d’effacer les terribles paroles qu’il venait de prononcer. Il savait que je l’aimais, il me donnait à choisir entre mon amour et ma vocation. Si je courais, je le perdais pour toujours. Si je restais là sur le bitume, il m’embrasserait et me ferait oublier que j’avais placé ma vie entre les mains de Dieu. J’éprouvais une angoisse profonde, un chagrin noir. J’aurais donné n’importe quoi pour ne pas avoir à choisir, pour n’avoir jamais connu Farag. Je pris une profonde inspiration, mes poumons sur le point d’éclater, me dégageai et, au prix d’un effort surhumain, me redressai pour me mettre debout. Moi seule sais ce que ce geste me coûta, et je ne parle pas de la fatigue ni des ampoules. Je baissai mon pull d’un geste décidé et l’observai. Il était resté dans la même position, mais son regard était infiniment triste.
    — On y va, dis-je.
    Il me fixa quelques instants sans bouger, sans changer d’expression, puis se leva avec un rictus et commença à marcher.
    — Allons-y.
    Je ne me souviens plus des villages traversés, je courais en scrutant sans cesse ma montre, en essayant d’oublier la douleur qui raidissait mes jambes et me transperçait le cœur. En quelques secondes, l’aube froide sécha les larmes qui glissaient sur mes joues. Nous entrâmes dans Athènes par la rue Kifïssias dix minutes avant six heures. Mais, même en courant, il était impossible de rejoindre Kapnikarea dans le temps voulu. Pourtant plus rien ne pouvait nous arrêter, pas même le point de côté qui me coupait le souffle. Je transpirais copieusement, avec la sensation que j’allais m’évanouir d’un instant à l’autre. J’avais l’impression d’avoir des clous plantés sous les pieds, mais je courus sans m’arrêter. Si je ne le faisais pas, il me faudrait affronter quelque chose que je n’étais pas capable d’assumer. D’ailleurs, je ne courais pas, je fuyais. Je fuyais Farag, et je suis sûre qu’il le savait. Il restait à côté de moi alors qu’il aurait largement pu me dépasser et peut-être réussir l’épreuve. Mais il ne m’abandonna pas et moi, fidèle à mon sentiment de culpabilité permanent, je me sentis responsable de son échec. Cette nuit si belle, si inoubliable, se terminait en cauchemar.
    Je ne sais combien de kilomètres faisait l’avenue Vassilis Sofias, mais elle me parut interminable. Les voitures circulaient pendant que nous courions, désespérés, en passant devant des réverbères, des arbres, des poubelles, des annonces publicitaires et des bancs de fer. La belle capitale du monde antique se réveillait sur un nouveau jour qui, pour nous, signifiait le début de la fin. L’avenue n’en finissait pas. Ma montre marquait six heures. Pourtant on ne voyait le soleil nulle part. Il faisait nuit comme tout à l’heure. Que se passait-il ?
    La ligne bleue qui nous avait guidés se perdit dans Vassilis Konstantinou, la traverse qui, partant de Vassilis Sofias, arrive directement au Stade olympique. Nous continuâmes sur l’avenue qui débouche sur la place Syndagma, l’énorme esplanade au pied du Parlement grec où se trouvait notre hôtel. Nous passâmes devant sans nous arrêter. Kapnikarea était au milieu de la rue Ermou, une des artères qui naissait à l’autre extrémité de la place. Il était six heures et trois minutes à ma montre.
    Les poumons et le cœur sur le point d’éclater, la douleur au côté, je courais. Seule

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