Le Dernier Caton
passer les fidèles avant de pénétrer dans le haram ou lieu de prières.
— Il est parfaitement dissimulé, m’expliqua Farag. Comme un casse-tête dont les pièces ont été mélangées et placées au fond de la fontaine.
— Au fond ?
— Elle comporte douze robinets et l’eau tombe dans une vasque de pierre dont le fond constitue les pièces de notre chrisme. Cela signifie que la clé est dans le sabial. Le capitaine continue de chercher. Nous devons nous dépêcher, car Doria ne va pas pouvoir distraire indéfiniment le gardien, alors jette un coup d’œil et éloigne-toi rapidement.
Je suivis ses instructions en échangeant un regard de connivence avec le capitaine. Ils avaient raison. Au centre de la fontaine, un cylindre de pierre d’où sortaient douze robinets de cuivre, il y avait une vasque d’un peu moins d’un mètre de largeur entourée d’un petit parapet. Là, au fond, plus ou moins cachées par l’eau sale qui s’était accumulée après les récentes ablutions, on pouvait voir les dalles de pierre aux reliefs à moitié effacés, que l’on devinait parfaitement néanmoins si l’on savait ce qu’on cherchait : les parties non reliées du monogramme. Très bien, me dis-je en fronçant les sourcils, alors, où est le truc ? Que fallait-il faire maintenant ? J’étais prévenue du danger que constituait ma présence près du sabial, mais, machinalement, je tournai un robinet. Je ne provoquai aucun cataclysme cosmique et ce geste me donna une idée que je n’hésitai pas à mettre aussitôt en pratique : je retirai mes chaussures sous les regards horrifiés de Farag et du capitaine, et grimpai dans le réservoir pour voir si le fait de marcher sur les pierres servait à quelque chose. Ce ne fut pas le cas mais, comme le fond était incroyablement poli, je glissai et me cognai contre le robinet devant moi. Ce dernier se plia vers le haut, sans se casser, en laissant à découvert un ressort qui prouvait que j’étais tombée sur quelque chose. Farag et le capitaine décidèrent de m’imiter et entrèrent dans le réservoir en frappant tous les robinets comme s’ils étaient devenus fous. Aussi étrange que cela paraisse, entre le moment où j’étais entrée dans l’eau jusqu’à celui où, les douze robinets levés, le sol s’ouvrit sous nos pieds, il ne dut pas s’écouler plus de trente secondes et, pourtant, je revois la scène exactement comme si elle se passait au ralenti…
Les douze dalles du fond cédèrent sous notre poids en nous faisant tomber dans le vide avant de reprendre leur place, tandis que dans notre chute nous voyions la lumière disparaître au loin. À une autre époque de ma vie, j’aurais hurlé, hystérique, en battant l’air de mes bras pour essayer de m’accrocher à quelque chose, mais, arrivée à ce stade, c’est-à-dire au cinquième cercle du Purgatoire, je savais que tout était possible et ne m’effrayai même pas. Notre descente s’acheva par un plongeon bruyant dans l’eau ; et, si je tremblais, c’était seulement en raison de sa température glaciale. Je retins ma respiration puis secouai les pieds pour me donner de l’élan et émerger. L’endroit, aussi obscur que la gueule d’un loup, sentait très mauvais. J’entendis des clapotements près de moi.
— Farag… ? Capitaine… ?
L’écho me renvoya mes mots.
— Ottavia ? cria Boswell à ma droite. Ottavia ? Où es-tu ?
Un nouveau clapotis et quelqu’un cracha de l’eau.
— Capitaine ?
— Maudits soient-ils ! Maudits soient tous les stavrophilakes de la Terre ! brama le capitaine de sa voix puissante. Mes vêtements sont trempés !
— Elle est bonne, celle-là ! Oh ! c’est vraiment très grave, vous êtes trempé, quelle catastrophe, me moquai-je.
— Terrible ! continua Farag.
— Allez-y ! Riez. Mais je commence à en avoir vraiment assez de ces types !
— Ah ! eh bien pas moi, dis-je.
Glauser-Röist alluma alors sa torche électrique.
— Où sommes-nous ? demanda Farag.
Ce qu’il y avait de bien dans ce genre d’aventures où l’on pouvait se retrouver immergée dans des eaux usées ayant servi à laver des centaines de pieds, c’est que les problèmes de la vie réelle, ceux qui étaient réellement douloureux, perdaient de leur importance et finissaient par disparaître. L’instant présent requérait toutes les forces physiques et psychiques, ce qui signifiait, dans l’immédiat, ne pas vomir ou ne pas
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