Le Dernier Caton
trouver à New York, s’il n’y avait eu les tenues des passants dans les rues.
En pénétrant au cœur de la ville, le chaos provoqué par les embouteillages devint indescriptible. Notre voiture resta coincée dans une rue étroite, pourtant à sens unique, entre la file qui nous suivait et une autre qui venait dans le sens opposé. Farag et le chauffeur échangèrent quelques mots en arabe, et ce dernier ouvrit la portière, sortit et commença à crier. Je suppose que l’idée était de faire reculer ceux qui venaient en sens inverse, mais une longue discussion s’engagea entre les conducteurs. Bien entendu, il n’y avait pas un seul agent de la circulation à des kilomètres à la ronde.
Farag finit par quitter le véhicule à son tour, dit quelque chose au chauffeur et revint. Il se dirigea vers le coffre, l’ouvrit et en sortit nos valises.
— Viens, Ottavia ! dit-il en passant la tête par la vitre. Mon père vit à deux rues d’ici.
— Un instant ! cria le capitaine. Vous ne pouvez pas partir comme ça, nous sommes attendus !
— On vous attend, vous, Kaspar, dit Farag en ouvrant ma portière. Toutes ces réunions sont inutiles ! Quand vous aurez terminé, appelez-moi sur mon portable. Ici, en Égypte, il est de nouveau en service. Vous n’aurez qu’à demander mon numéro au vicaire de Sa Béatitude. Allez, viens, Basileia.
— Professeur Boswell, vous ne pouvez pas emmener le professeur Salina !
— Ah non ? On en reparle ce soir. On dîne à neuf heures, pas plus tard.
Nous prîmes la fuite, main dans la main, en laissant la voiture et le capitaine, qui dut ensuite nous excuser auprès des hautes autorités religieuses. Le patriarche octogénaire regretta beaucoup Farag, qu’il connaissait depuis longtemps, et ne crut pas un instant aux alibis maladroits que lui fournit Glauser-Röist.
Quant à nous, nous empruntâmes une ruelle qui donnait sur l’avenue Tarek El-Gueish. Farag portait nos valises, et moi nos sacs. J’éclatai de rire tandis que nous courions. Je me sentais si heureuse ! Aussi libre qu’une gamine de quinze ans. Et, pour une fois, j’avais eu la bonne idée de mettre des chaussures confortables. En tournant au premier coin de rue, nous ralentîmes pour reprendre notre souffle. Farag m’expliqua que nous nous trouvions dans le quartier de Saba Facna, où son père possédait un immeuble de trois étages.
— Il occupe le premier, moi le troisième.
— Nous allons chez toi, alors ? m’inquiétai-je.
— Bien sûr, Basileia, mais je ne voulais pas scandaliser le capitaine.
— Mais, moi aussi, je suis scandalisée.
— Viens, nous passerons d’abord chez mon père et ensuite chez moi pour prendre une douche, soigner nos blessures, nous changer et préparer le dîner.
— Tu le fais exprès, n’est-ce pas, Farag ? lui dis-je en m’arrêtant au milieu de la rue. Tu veux me faire peur.
— Te faire peur… ? s’étonna-t-il. Mais comment ?
Il s’approcha de moi. Je crus qu’il allait m’embrasser, mais heureusement nous étions dans un pays musulman.
— Ne t’inquiète pas, Basileia, je comprends. Je te promets, même si cela me coûte, que je ne ferai rien. Je ne te le garantis pas totalement, mais je ferai mon possible. D’accord ?
Il était si beau, là au milieu de la rue, qui me regardait fixement, que je craignis soudain d’aller contre mes véritables désirs. Mais… quels désirs ? Oh ! mon Dieu. Tout cela était tellement nouveau pour moi. J’aurais dû vivre ce genre de choses vingt ans plus tôt. J’avais pris un tel retard que j’avais peur de paraître ridicule ou de le devenir quand… Seigneur !
— Nous allons chez ton père maintenant, déclarai-je.
— J’espère que tu arrangeras rapidement ta situation vis-à-vis de l’Église comme l’a dit Glauser-Röist. Cela va être très dur d’être à tes côtés en sachant que tu es intouchable.
Je fus sur le point de lui dire que j’étais aussi intouchable que me le dictait ma conscience, mais je me tus. Bien que je me sente libérée comme par magie de ma condition religieuse, je n’étais pas prête pour autant à rompre mes vœux sans m’être d’abord déliée de tous les engagements que j’avais envers Dieu et mon ordre.
— Allons, Farag, dis-je avec un sourire, en pensant que j’aurais donné n’importe quoi pour l’embrasser.
— Pourquoi suis-je tombé amoureux d’une religieuse ? s’écria-t-il. Avec toutes les belles
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