Le Dernier Caton
pense, Farag, lui dis-je, très sérieuse.
— Je crains que si, Basileia. Je devais faire quelque chose pour que tu réagisses. Tu n’as pas l’air contente ?
— Contente ! Mais comment veux-tu que je sois contente ! J’ai vécu un enfer !
Farag éclata de rire, ravi.
— C’était ça l’idée, Basileia. À Athènes, j’ai cru tout perdre. Tu ne sais pas à quel point j’ai souffert quand tu t’es levée, sur la route, et que tu as dit : « On y va ? » C’est à cet instant, en te regardant, que j’ai compris que, pour convaincre une femme aussi têtue que toi, il fallait utiliser quelque chose d’aussi explosif qu’une bombe nucléaire. Et Doria répond assez à cette définition, tu ne trouves pas ? Le problème, c’est qu’après tu ne me regardais même plus, et quand tu le faisais, c’était avec…
Le capitaine s’approcha.
— Je continuerai tout à l’heure.
— Ce n’est pas la peine, répondis-je, très digne, en me levant et en sortant mon nécessaire de toilette. Tu es un tricheur, c’est tout.
— Mais oui ! s’exclama-t-il, amusé. Et j’ai beaucoup d’autres défauts encore, je te préviens.
Glauser-Röist se laissa tomber dans un fauteuil avec un grand soupir.
— Je reviens, dis-je.
— N’oubliez pas que vous devez regagner votre siège avant le décollage.
— Ne vous inquiétez pas.
Les trois heures passèrent rapidement entre le repas, les conversations et les rires. Farag et moi déclenchâmes une émeute quand le capitaine sortit La Divine Comédie de son sac à dos en nous proposant de passer au cercle suivant. Même si je me sentais fraîche et dispose après presque douze heures de sommeil, j’étais mentalement épuisée. Si cela avait été possible, j’aurais demandé un congé et serais partie avec Farag dans un coin perdu, un endroit où rien ni personne ne me rappelleraient ma vie antérieure. Après, sans doute transformée en une nouvelle femme, j’aurais été bien plus disposée à terminer les épreuves qui nous manquaient pour arriver au Paradis terrestre. J’avais l’étrange sensation d’avoir largué les amarres sans disposer d’un mouillage où jeter l’ancre. Ma maison était l’avion, désormais ; ma famille, Farag et le capitaine ; mon travail, la recherche de ces surprenants voleurs de reliques qui existaient depuis des siècles. Penser à la Sicile m’était douloureux, cela m’attristait, et je savais aussi que jamais je ne retournerais vivre dans l’appartement de la Piazza delle Vaschette. Qu’allais-je faire quand notre mission serait terminée ? Heureusement que j’avais ce tricheur sans scrupule de Farag, pensai-je en le regardant. J’étais certaine qu’il m’aimait, et serait à mes côtés dans ma nouvelle vie. Il représentait le seul point ferme de mon existence désormais, mon unique désir.
Vers cinq heures, le commandant annonça que nous allions atterrir sur l’aéroport d’El-Nouzha. Le temps était ensoleillé, et la température de 30 degrés.
— Ça y est, on arrive ! s’exclama Farag, tout agité.
Il n’y eut pas moyen de le faire rester assis tandis que nous touchions la piste, malgré les supplications de la pauvre Paola. Mais il voulait voir sa ville et rien ne pouvait l’en dissuader.
Même dans mes rêves les plus étranges, jamais je n’aurais imaginé qu’Alexandrie deviendrait si spéciale pour moi parce que je tomberais amoureuse d’un homme natif de cette ville. Bien sûr, j’avais lu Lawrence Durrell et Constantin Cavafy, et je connaissais comme tout le monde certains faits curieux concernant la cité fondée par Alexandre le Grand en 332 avant notre ère. J’avais entendu parler de sa fameuse Bibliothèque, qui contenait plus de cinq cent mille volumes traitant des sujets les plus divers de la connaissance humaine ; de son Phare aussi, l’une des sept merveilles du monde, qui guidait les centaines de bateaux marchands dans le port, le plus grand du monde antique. Je savais que, pendant des siècles, elle avait été la capitale de l’Égypte et de la Méditerranée, mais aussi la capitale littéraire et scientifique du monde entier, et que ses palais, demeures et temples étaient admirés pour leur élégance et leur richesse. Ce fut à Alexandrie qu’Ératosthène mesura la circonférence de la Terre, qu’Euclide systématisa la géométrie et que Gallien écrivit ses œuvres de médecine, là aussi que Cléopâtre abrita ses amours avec
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