Le Dernier Caton
morte il y a cinq ans.
— Papa, l’interrompit Farag, la chienne dans les bras, nous devons monter nous changer.
— Vous dînez ici ce soir ?
— Nous dînerons là-haut avec le capitaine Glauser-Röist, je pensais passer une commande chez le traiteur.
— Très bien, à demain alors.
— Mais tu es invité, papa ! s’exclama Farag en lançant l’animal dans les airs.
La chienne, qui faisait son poids, atterrit pourtant de manière impeccable et se dirigea vers moi. Elle avait de grands yeux et un regard intelligent. Tout son poil était couleur cannelle, sauf le cou et la poitrine, couverts d’une grande tache blanche. Je lui caressai la tête avec une certaine appréhension. Elle prit son élan et appuya ses pattes de devant sur mon ventre.
— J’espère que cela ne vous gêne pas, intervint Boutros. C’est sa manière à elle de dire que vous lui plaisez.
— Ton père est un homme charmant ! dis-je à Farag alors que nous arrivions à son étage.
— Je sais, répondit-il en ouvrant la porte.
— Qui habite l’étage intermédiaire ?
— Plus personne. C’est là que vivaient mon frère et sa famille.
— Excuse-moi…
— Ce n’est rien, dit-il en m’enlevant les sacs de la main et en fermant la porte derrière moi. Mais parlons d’autre chose…
Il ne prit même pas le temps d’allumer les lampes ou d’ouvrir les fenêtres ni de visiter les lieux… Jamais je n’aurais pensé qu’il me serait si difficile de maintenir mon vœu. La limite paraissait si simple à franchir… Je me retins pourtant. Sur le point de céder, je me souvins, malgré mes sentiments, que je devais d’abord accomplir ma promesse. C’était absurde, idiot, ridicule, mais impossible de passer outre. Je devais être fidèle à l’engagement pris devant Dieu, envers mon ordre et l’Église. Je me détachai de Farag, de son corps, ses lèvres, sa passion, avec l’impression que l’on me brisait en mille morceaux.
— Tu m’as promis… Tu as promis que tu m’aiderais, dis-je en le repoussant doucement.
— Je ne peux pas, Ottavia.
— Farag, s’il te plaît, aide-moi, le suppliai-je. Je t’aime tant.
Il s’immobilisa, puis se pencha vers moi et m’embrassa :
— Je t’aime, Basileia, dit-il en s’écartant. J’attendrai.
— Je te promets que ce soir j’appelle Rome, lui dis-je en posant la main sur sa joue. Je parlerai avec la sœur Sarolli, la sous-directrice de mon ordre, et lui expliquerai la situation.
— Tu le feras vraiment ? murmura-t-il.
— Je te le promets, ce soir.
Tandis que je prenais ma douche, changeais mon pansement et me rhabillais avec des vêtements propres, Farag ouvrit les fenêtres, ôta la poussière des meubles et prépara sa maison pour le dîner. Il commanda le repas par téléphone avant de passer dans la salle de bains en me laissant libre de visiter ce lieu inconnu. Hypocritement, je lui demandai s’il y avait des endroits où je ne devais pas aller.
— La maison est à toi, Basileia , et je n’ai rien à te cacher, dit-il avant de disparaître.
Je ne me le fis pas dire deux fois. L’appartement de Farag, aux murs lisses et blancs, au sol de dalles claires, n’avait que deux chambres, mais elles étaient de très grandes dimensions, comme souvent dans les maisons anciennes. L’une était la sienne et l’autre, qui comportait deux lits, paraissait réservée aux invités, bien qu’elle servît aussi à entreposer des livres et des revues d’histoire, d’archéologie et de paléographie. Le salon, avec un grand canapé et des fauteuils clairs, occupait le même espace que le reste de la maison, cuisine et bureau inclus. Une grande table à manger trônait dans un coin, de bois clair comme à peu près tous les meubles de la maison. Farag devait particulièrement aimer les coussins, car il y en avait partout, ainsi que de nombreuses photographies. On le voyait enfant avec les élèves de sa classe, puis étudiant avec des amis de l’université, en voyage à travers le monde avec des filles très séduisantes, jamais la même, toutes plus jolies les unes que les autres… Je compris alors que j’étais tombée amoureuse d’un séducteur impénitent, un véritable Casanova. Et pourtant il n’en avait pas l’air…
Je me laissai tomber, horrifiée, sur le canapé en serrant un coussin entre mes bras et regardai la nuit : tomber par les fenêtres. Je ne savais plus si je devais appeler sœur Sarolli. Il était encore
Weitere Kostenlose Bücher