Le Dernier Caton
temps de faire marche arrière et de penser à me réfugier en Irlande. À cet instant retentit la sonnerie du portable de Farag, qu’il avait posé sur une étagère basse du couloir près de la porte de la salle de bains.
— Ottavia ! cria mon Casanova. Réponds, ce doit être le capitaine !
Je ne répliquai pas. Je me contentai de prendre l’appareil, d’appuyer sur la touche verte et de saluer Glauser-Röist, qui semblait fâché.
— Votre réunion s’est bien passée ?
— Comme d’habitude.
— Venez vite nous rejoindre. Le dîner est presque prêt.
— Professeur Salina, où comptez-vous passer la nuit ? me demanda-t-il à brûle-pourpoint.
— Je… (J’hésitai.) À vrai dire, je n’y ai pas pensé. Et vous ?
— Le professeur a assez de place pour trois ?
— Oui, il a deux chambres et trois lits.
— Le patriarcat aimerait connaître nos projets.
— Avons-nous besoin d’ordinateurs ou d’autres choses pour préparer l’épreuve ?
— Pourquoi ? Boswell n’en a pas ? s’étonna mon interlocuteur.
— Si, il y en a un dans son bureau, mais je ne sais pas s’il est connecté à Internet.
— Si, si ! cria Casanova, qui suivait notre conversation. J’ai aussi accès à la base de données du musée.
— Farag dit qu’il a tout ce qu’il faut.
— Alors, décidez-vous.
Je crus sentir une certaine méfiance dans sa voix. Je suppose qu’il était simplement mal à l’aise.
— Venez nous rejoindre, capitaine. Ce sera plus pratique. Quelle est ton adresse, Farag ?
— 33, Moharrem Bey, dernier étage !
— Vous avez entendu ?
— Je serai là dans une demi-heure, dit-il avant de raccrocher.
Heureusement, notre dîner arriva avant Glauser-Röist. Nous eûmes le temps de dresser la table pour essayer de lui faire croire que nous avions tout préparé nous-mêmes.
— Tu ne préfères pas appeler sœur Sarolli avant l’arrivée du capitaine ? me demanda Farag tandis que nous apportions verres et couverts de la cuisine.
Je gardai le silence.
— Ottavia, tu m’as entendu ?
— Je ne sais plus, Farag ! ce n’est pas si évident.
— Comment ? dit-il, surpris. J’ai raté un épisode ?
Si je lui donnais mes raisons, il se moquerait de moi. Ma jalousie était ridicule, mais je ne savais pas que c’en était. C’était plutôt une comparaison en ma défaveur. Tandis qu’il n’y avait personne dans mon passé, lui avait collectionné les femmes. J’avais beau tourner et retourner la question dans tous les sens, je sortais perdante.
Il dut remarquer quelque chose sur mon visage car il posa sur la table ce qu’il portait, s’approcha de moi et m’entoura les épaules de son bras.
— Que se passe-t-il, Basileia ? On ne va pas commencer à se faire des cachotteries ?
— Voilà ce qui se passe ! clamai-je en tendant un index accusateur sur ses photos de voyage. Tu as déjà été marié ? Parce que, dans ce cas… (Je laissai flotter la menace.)
— Mais pas du tout ! Pourquoi me poses-tu cette question ?
Je continuai à indiquer les photos, mais à mon grand désespoir il ne comprenait toujours pas.
— Enfin, Farag, tu ne vois pas ! Il y a eu trop de femmes dans ta vie !
— Ah, c’est ça ! dit-il avec un soupir. Je ne voyais vraiment pas. Mais enfin, Ottavia, j’ai trente-neuf ans, tu ne peux pas me reprocher sérieusement de ne pas être vierge.
Il fut assez aimable pour s’ajouter une année afin d’être à égalité avec moi.
— Et pourquoi pas ! Je le suis bien, moi !
Si j’attendais des excuses ou qu’il me rappelle que j’étais religieuse, j’en fus pour mon compte. Il se laissa tomber sur le canapé, pris d’un fou rire inextinguible. Comme il ne s’arrêtait pas, que des larmes coulaient sur son visage, je quittai la pièce, indignée, blessée, et me dirigeai vers la chambre où se trouvaient mes affaires. Il me rattrapa dans le couloir et me colla au mur.
— Ne sois pas idiote, Basileia , dit-il en essayant de retenir son rire. Je ne te le dirai qu’une fois et j’espère que ce sera clair. Va passer ce satané coup de fil en Italie, fais tes adieux à sœur Sarolli et à la Bienheureuse Vierge Marie, et oublie toutes les femmes qu’il a pu y avoir dans ma vie. Je n’ai jamais ressenti pour aucune d’entre elles ce que je ressens pour toi. C’est la première fois que je suis sûr de mes sentiments. Je t’aime comme je n’ai jamais aimé personne avant.
Il
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