Le Dernier Caton
se pencha doucement et m’embrassa.
— Pendant que tu téléphones, j’enlèverai toutes les photos, d’accord ?
— Bien.
— Bien, dit-il en frottant son nez contre le mien. Tu as cinq secondes. Décroche ce maudit combiné, une bonne fois pour toutes.
— Tu parles comme le capitaine, maintenant.
— Je crois que je commence à le comprendre.
Je poursuivis mon chemin vers la chambre sous le regard inquisiteur de Farag. Je préférais avoir cette conversation dans un endroit tranquille. Je ne voulais pas qu’il m’écoute. Tandis qu’on me mettait en communication avec la maison centrale de mon ordre à Rome, la sonnette de la porte d’entrée retentit. Le capitaine venait d’arriver et Boutros le suivit peu après.
La conversation fut assez difficile. Sœur Sarolli eut le même ton méprisant qu’elle avait employé pour m’annoncer qu’on m’envoyait en Irlande. J’avais beau insister, je n’arrivais pas à obtenir d’elle les indications sur la démarche à suivre pour quitter l’ordre. Elle ne cessait de me répéter que la partie juridique de l’affaire n’avait aucune importance, que seul comptait le spirituel, le don que j’avais fait de ma vie.
— Ce don, sœur Ottavia, disait-elle, est un don d’amour qui essaie de dépasser l’égoïsme individuel en s’ouvrant aux autres. La vie en communauté sert ce but, et l’idéal que toutes les sœurs cherchent, c’est de pouvoir dire, comme saint Paul : j’ai la liberté de faire telle et telle chose mais aussi de ne pas faire ce que je veux, mais ce que les autres attendent de moi. Vous comprenez ?
— Oui, mais j’ai beaucoup réfléchi et je suis sûre que je ne pourrai pas être heureuse en reprenant ma vie religieuse.
— Mais cette vie consiste à suivre le Christ.
Elle ne pouvait pas comprendre que je puisse renoncer à une si haute destinée. Elle parlait comme si aucun autre choix n’était digne de considération.
— Vous avez été appelée par Dieu. Comment pouvez-vous faire la sourde oreille au Seigneur ?
— Il ne s’agit pas de ça, ma sœur. Les choses ne sont jamais si simples.
— Vous n’êtes pas tombée amoureuse d’un homme, n’est-ce pas ? dit-elle d’une voix glaciale après quelques instants de silence.
— Je crains que si.
Le silence persista.
— Vous avez prononcé des vœux, reprit-elle d’un ton accusateur.
— Je n’y ai pas dérogé, mais je dois savoir ce qu’il faut faire pour reprendre une vie séculière.
Je n’eus pas plus de chance cette fois. Sœur Sarolli ne comprenait pas, ou ne voulait pas voir, que parfois, lorsque certaines choses touchent à leur fin, il n’y a pas de possibilité de retour. Elle essaya donc de me convaincre de réfléchir encore un peu avant de prendre une décision aussi grave. Je savais avant d’appeler que la discussion serait longue, mais pas à ce point.
— Vous devriez avoir confiance, Dieu vous répondra, me dit-elle.
— Écoutez, ma sœur, finis-je par lui rétorquer, fatiguée et gênée, Dieu me répondra sans doute, mais moi, je vous appelle d’Égypte, et vous ne me répondez pas. Alors s’il vous plaît, expliquez-moi clairement ce que je dois faire pour quitter l’ordre !
La sous-directrice se tut. Elle dut comprendre qu’il n’y avait rien à faire, qu’il était temps de se débarrasser de moi :
— En décembre prochain, vous irez voir la supérieure de votre communauté au moment du renouvellement de vos vœux et vous lui direz que vous renoncez.
— Mais que dites-vous là ! m’exclamai-je, effrayée. Le renouvellement des vœux ! Sœur Sarolli, cette solution, je la connaissais. Je vous demande ce que je dois faire pour quitter l’ordre maintenant.
Je l’entendis soupirer. J’entendis aussi le lointain écho d’une sirène d’ambulance qui devait passer sous son bureau, là-bas, à Rome.
— Il vous faut une dispense de l’évêque, dit-elle à contrecœur. Je vous rappelle qu’il y a un mois seulement vous renouveliez vos vœux.
Une petite lumière s’alluma au fond du tunnel.
— Non, ma sœur, je n’ai pas renouvelé mes vœux.
— Comment !
— Le 14 mai, quatrième dimanche de Pâques, j’ai dû partir en Sicile pour l’enterrement de mon père et de mon frère, tués dans un accident de la circulation.
— Et vous ne les avez pas renouvelés le dimanche suivant ? Vous n’avez pas signé les papiers ?
— La mission que j’accomplis en ce moment
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