Le Dernier Caton
coïncider parfaitement ses coups avec les palpitations que je sentais au centre de la poitrine.
— Et le vin ? As-tu noté ses épices, sa texture légèrement beurrée et qu’il laisse dans la bouche une saveur dense et sèche comme le bois ?
Je venais de Sicile, la meilleure région viticole d’Italie, ma famille possédait des vignes et nous buvions du vin aux repas, mais je n’avais jamais remarqué ce genre de choses.
— Si vous n’êtes pas capable de percevoir ce qui vous entoure, ni de sentir ce que vous éprouvez, conclut-il d’un ton aimable mais très ferme, si vous ne savez pas profiter de la beauté parce que vous ne pouvez même pas la voir là où elle se trouve, et si vous en savez moins que les enfants les plus petits de mon école, ne prétendez pas être en possession de la vérité et ne suspectez pas ceux qui vous ont accueillis courtoisement.
— Allons, Shakeb, intervint alors Mirsgana. Tu as raison, mais ça suffit. Ils viennent juste d’arriver. Il faut être patient.
Shakeb changea aussitôt d’expression, montrant un certain remords.
— Excusez-moi, nous dit-il. Mirsgana a raison, mais nous accuser d’avoir assassiné Dante, quand même !
Ces gens ne maniaient pas la langue de bois !
Farag était tendu et concentré. En imitant Shakeb, j’avais l’impression d’entendre les rouages de son cerveau tourner à toute vitesse.
— Excuse-moi pour ce que je vais dire, lâcha-t-il enfin d’une voix sans inflexions, mais, même en admettant que tu puisses voir cette petite flamme ou sentir des arômes imperceptibles, je refuse d’accepter que tu entendes les battements de cœur d’Ottavia ou glisser une goutte de sueur. Je ne doute pas de toi, mais…
— Bon, l’interrompit Ufa, en fait, nous avons tous entendu la goutte glisser, et maintenant nous pouvons entendre les battements de vos cœurs, comme nous pouvons deviner votre nervosité à votre voix.
Mon incrédulité atteignait des sommets et mon malaise augmenta à l’idée qu’une telle chose pût être réelle.
— Non… Ce n’est pas possible…
— Tu veux une preuve ? offrit aimablement Gete.
— Bien sûr, dit Farag d’un ton sec.
— Je vais te la donner, déclara alors Ahmose, qui n’était pas encore intervenue. Candace, murmura-t-elle comme si elle parlait à l’oreille du serviteur que l’on ne voyait pourtant nulle part, Candace, s’il te plaît, tu peux apporter une part de ce gâteau à la confiture de sureau que tu viens de sortir du four ?
Elle s’arrêta un instant puis sourit avec satisfaction.
— Candace a répondu qu’il arrivait.
— C’est ça ! s’exclama Farag avec dédain.
Un dédain qu’il dut ravaler quand Candace apparut, quelques secondes plus tard, avec une espèce de pudding blanc qui ne pouvait être autre chose que la commande d’Ahmose.
— Voici ton gâteau, dit-il. Je l’avais préparé en pensant à toi. Mais j’en ai gardé une part pour l’emporter à la maison après.
— Merci, Candace, dit-elle avec un sourire reconnaissant.
Il n’y avait pas le moindre doute, ces deux-là vivaient ensemble.
— Je ne comprends pas, dit Farag. Vraiment, je ne comprends pas.
— Mais tu commences à accepter l’idée, indiqua Ufa en levant son verre de vin d’un geste joyeux. Trinquons à toutes les belles choses que vous allez apprendre ici !
Tout le monde leva son verre avec enthousiasme. Le groupe qui entourait le capitaine et Caton ne bougea pas, fasciné par ce qu’il entendait.
Shakeb avait raison. Le vin, dans ma coupe de cristal dépoli aux reliefs de feuilles d’acanthe en bordure, sentait merveilleusement les épices et sa saveur était dense et sèche comme le bois. Une minute après avoir trinqué, je conservais encore dans mes papilles le souvenir de sa texture. Une phrase de John Ruskin, le critique d’art anglais, me revint en mémoire : « La connaissance de la beauté est le véritable chemin et la première marche vers la compréhension des choses bonnes. »
L’après-midi nous allâmes nous promener, accompagnés par Ufa, Mirsgana, Gete et Khutenptah, la shasta du potager qui s’était très bien entendue avec le capitaine Glauser-Röist et venait nous montrer les serres et le système de production agricole. Glauser-Röist, en bon ingénieur agronome, se montrait très intéressé par cet aspect de la vie du Paradeisos.
Quand nous sortîmes du palais de Caton, alors que nous traversions de
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