Le Dernier Caton
Digest, Ethiopian News Headlines et Addis Tribune.
Le résumé de l’histoire était le suivant : le mardi 15 février, un petit avion de location, un Cessna-182, s’était écrasé sur le mont Chelmos, dans le Péloponnèse, à 21 h 35. Il y avait eu deux morts, le pilote, un jeune Grec de vingt-trois ans qui venait d’obtenir sa licence, et le passager, un Éthiopien de trente-cinq ans appelé Abi-Ruj Iyasus. Selon le plan de vol remis aux autorités à l’aéroport d’Alexandroupoli au nord de la Grèce, l’avion se dirigeait vers Kalamata dans le Péloponnèse, où il devait atterrir à 21 h 45. Dix minutes auparavant, et sans aucun appel au secours, l’appareil, qui survolait le mont boisé, fit une brusque descente à 2 000 pieds et disparut des radars. Les pompiers de la localité voisine de Kertazi, prévenus par les autorités aériennes, se précipitèrent sur le lieu et trouvèrent les restes encore fumants de l’avion dispersés sur un rayon d’un kilomètre, et les corps du pilote et du passager, accrochés, sans vie, à des arbres. Cette information était donnée essentiellement par les journaux grecs, qui s’en faisaient l’écho à travers leurs correspondants régionaux. Dans le Kathimerini on voyait en plus une photographie de l’accident, très floue, où l’on distinguait Abi-Ruj dans une civière. Bien qu’il fut très difficile de le reconnaître, je n’avais eu aucun doute, il s’agissait bien de lui : son visage était gravé dans ma mémoire pour l’avoir contemplé tant de fois sur les photos de l’autopsie. Le correspondant de l’Athens News Agency, plus explicite, décrivait les blessures mortelles des deux hommes, qui correspondaient dans le cas du passager à celles de mon Éthiopien. Les scarifications dissimulées par les vêtements semblaient être passées inaperçues.
— J’ai de bonnes nouvelles, annonça le capitaine.
— Ah oui ? Je vous écoute, répondis-je, d’un air distrait, sans manifester le moindre intérêt.
Une phrase de ce dernier article avait néanmoins attiré mon attention : les pompiers avaient trouvé par terre, aux pieds du cadavre d’Iyasus (comme si elle lui avait échappé des mains avec son dernier souffle de vie), une belle boîte en argent qui en s’ouvrant avait laissé échapper d’étranges bouts de bois…
Les journaux éthiopiens, quant à eux, fournissaient peu d’informations sur l’accident qu’ils mentionnaient en passant, et se limitaient à demander l’aide de leurs lecteurs pour localiser la famille d’Abi-Ruj Iyasus, membre de l’ethnie Oromo, peuple de pasteurs et d’agriculteurs des régions centrales d’Éthiopie. Ils s’adressaient en particulier aux responsables des camps de réfugiés (une famine terrible dévastait le pays) mais aussi, et c’était plus étrange, aux autorités religieuses, car on avait trouvé entre les mains du défunt « de saintes reliques de grande valeur ».
— Vous devriez peut-être vous retourner pour voir ce que je vous apporte, insista le capitaine.
Je m’exécutai à contrecœur en sortant difficilement de mes méditations et vis le monumental garde suisse qui, ô miracle ! arborait un immense sourire. Il tendait le bras pour m’offrir une photographie de grandes dimensions. Je la pris en feignant l’indifférence et jetai un coup d’œil dédaigneux dessus. Mais je ne pus retenir une exclamation de surprise. On voyait sur cette reproduction un mur de granit de couleur rouge illuminé par la lumière du soleil ; deux croix étaient dessinées dessus, à l’intérieur de cadres rectangulaires, et elles portaient de petites couronnes à sept pointes.
— Nos croix ! m’écriai-je, enthousiaste.
— Cinq des plus puissants ordinateurs du Vatican ont travaillé quatre jours durant pour obtenir finalement ce que vous tenez entre les mains.
— Et de quoi s’agit-il exactement ? (J’aurais pu sauter de joie si je n’avais craint le ridicule.)
— D’une partie du mur sud-est du monastère orthodoxe de Sainte-Catherine, dans le Sinaï.
Glauser-Röist paraissait aussi satisfait que moi. Il souriait ouvertement et, bien que son corps ne bougeât pas d’un millimètre et qu’il parût aussi congelé que d’habitude, avec les mains dans les poches de son pantalon sous une élégante veste bleu marine, son visage exprimait une joie réelle que je n’aurais pas crue possible chez un tel homme.
— Sainte-Catherine, répétai-je,
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