Le Dernier Caton
maintenant, sans doute soulagé de constater que je ne comptais pas le tuer.)
— Bon, alors j’aimerais que tu me rendes un service…
Je passai toute la matinée enfermée avec lui dans sa chambre, à boire des boissons gazeuses, le nez collé sur l’écran de son appareil. C’était un garçon intelligent qui se déplaçait avec aisance sur la Toile et maniait magnifiquement les moteurs de recherche. À l’heure du déjeuner, après l’avoir gratifié d’une coquette somme d’argent pour le remercier de son splendide travail (Pierantonio m’avait bien dit d’acheter l’information), j’avais découvert l’identité de mon Éthiopien, la cause de son décès, et pourquoi les Églises chrétiennes se retrouvaient mêlées à cette affaire. L’affaire était si grave que mes jambes se mirent à trembler soudain, alors que je descendais l’escalier.
2
Je rentrai à Rome le lundi soir, plongée dans l’embarras et la crainte. J’avais fait quelque chose qui me surprenait moi-même, j’avais désobéi, et obtenu une information importante par des méthodes peu orthodoxes, contre l’avis exprès de mes supérieurs. Je me sentais peu sûre de moi, effrayée comme si un rayon divin allait me frapper d’un instant à l’autre pour me punir. Suivre les règles est toujours plus facile, on évite ainsi remords et culpabilité, on s’épargne toute peur et, en plus, on se sent fier de ce qu’on a accompli. Moi, je n’étais pas fière du tout de mon travail de fouine. Préoccupée, je me demandais comment j’allais affronter Glauser-Röist. J’étais convaincue qu’il devinerait tout en me voyant.
Je priai cette nuit-là en cherchant le réconfort et le pardon. J’aurais donné n’importe quoi pour oublier ce que je savais, revenir en arrière et retrouver ma tranquillité d’esprit, mais c’était impossible… Quand, le lendemain, je fermai la porte de mon bureau et vis la triste silhouette scotchée dessus, remplie de dessins et de marques au feutre, le nom de l’Éthiopien me revint aussitôt : il s’appelait Abi-Ruj Iyasus… Le pauvre, me dis-je en marchant lentement vers la table sur laquelle étaient posées les terribles photos de son corps torturé, il avait eu une mort horrible, de celles qu’on ne souhaiterait à personne, même si elle était proportionnelle au péché dont il s’était rendu coupable.
Mon neveu Stefano, en pianotant avec deux doigts sur le clavier, des mèches de cheveux tombant sur ses yeux, m’avait demandé ce que je cherchais exactement. Et je lui avais répondu : « Des accidents… N’importe quel accident impliquant un jeune Éthiopien – Tu connais la date ? – Non, ni le lieu. – Donc, tu ne sais rien. – Exactement », avais-je répondu en levant les bras dans un geste d’impuissance. Et c’est avec ce peu d’informations qu’il avait commencé à parcourir des milliers de documents à une vitesse vertigineuse. Plusieurs écrans fonctionnaient en même temps avec des moteurs de recherche différents : Google, Yahoo, Lycos… Les mots clés étaient « accident » et « éthiopien ». Très vite, de nombreux documents apparurent sur l’écran. Stefano les effaçait après avoir vérifié que l’accident ne comportait pas d’Éthiopien (mentionné pour une autre raison pourtant trois paragraphes plus bas) ou que l’Éthiopien avait quatre-vingts ans ou bien que l’accident et l’Éthiopien dataient tous deux de l’époque d’Alexandre le Grand. En revanche, il gardait, dans un dossier créé spécialement à cette occasion, les pages qui semblaient avoir un lien avec ce que je cherchais, un dossier virtuel qu’il avait nommé « Tante Ottavia ».
La porte du bureau s’ouvrit derrière mon dos et fut refermée doucement.
— Bonjour, professeur.
— Bonjour, capitaine, répondis-je sans me retourner.
Je ne pouvais quitter des yeux Abi-Ruj.
Stefano s’était déconnecté de sa liaison Internet à l’heure du déjeuner. Nous avions alors passé au crible le matériel trouvé. Après un premier tri, il n’était plus resté aucun document en italien ; après un second, très consciencieux et méticuleux, nous avions obtenu enfin ce que nous cherchions. Il s’agissait de cinq articles de presse parus entre le mercredi 16 et le dimanche 20 février de l’année. Une édition anglaise du journal grec Kathimerini, un bulletin de l’Athens News Agency et trois publications éthiopiennes, Press
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