Le Dernier Caton
des paradis fiscaux, pour soutenir le syndicat polonais Solidarité et faire tomber le communisme dans son pays. Combien de lires crois-tu qu’il nous donne, à nous qui le lui demandons ? Aucune ! Rien, zéro centime !
— Ce n’est pas tout à fait juste, Pierantonio, protestai-je doucement, l’Église organise tous les ans une collecte pour vous.
Il me regarda, furibond :
— Tu veux rire ! lâcha-t-il avec mépris en me tournant le dos et en rebroussant chemin.
— Bon, bon, alors explique-moi au moins comment je peux obtenir l’information que je cherche, le suppliai-je tandis qu’il s’éloignait à grands pas.
— Fais preuve d’intelligence, Ottavia ! s’exclama-t-il sans se retourner. Aujourd’hui le monde est plein de recours pour obtenir ce que l’on veut. Il faut juste savoir quelles sont tes priorités, et donner de la valeur à ce qui est important. Vois jusqu’à quel point tu es prête à désobéir ou à agir de ton côté, en marge de tes supérieurs, et même… (Il hésita.) Et même à passer outre ce que ta conscience te dicte.
La voix de mon frère avait pris un ton d’amertume profonde, comme s’il devait vivre en permanence avec un poids insupportable sur sa propre conscience. Je me demandai si j’aurais le courage d’aller contre les instructions reçues afin d’obtenir les informations que je voulais. Mais je connaissais la réponse : oui, évidemment. La question était plutôt : de quelle manière allais-je m’y prendre ?
— Je suis prête, dis-je à mi-chemin.
J’aurais dû me rappeler cette phrase : « Fais attention à ce que tu désires car tu peux l’obtenir », mais je ne l’ai pas fait.
Mon frère se retourna.
— Que veux-tu ? cria-t-il. Qu’est-ce que tu cherches ?
— Des renseignements.
— Alors, achète-les. Et sinon, débrouille-toi pour les obtenir par tes propres moyens !
— Comment ? demandai-je, un peu perdue.
— Enquête, fouille, pose des questions aux gens qui sont en possession de ces informations, interroge-les avec intelligence, cherche dans les archives, dans les tiroirs, les corbeilles à papier, fouille les bureaux, les ordinateurs, les poubelles… Vole-les, s’il le faut !
Je passai la nuit très inquiète, sans pouvoir trouver le sommeil. Je ne cessais de me retourner dans mon vieux lit. À mes côtés, Lucia reposait tranquillement en dormant du sommeil de l’innocence. Les paroles de Pierantonio me hantaient. Je ne voyais pas comment accomplir les choses terribles qu’il m’avait suggérées. Comment interroger avec intelligence ce bloc monolithique que constituait Glauser-Röist ? Comment fouiller les bureaux de monseigneur Tournier ? Ou pénétrer dans les ordinateurs du Vatican alors que je n’avais pas la moindre idée du fonctionnement de ces machines ?
Je m’endormis, épuisée, quand l’aube filtrait déjà à travers les jalousies. Je rêvai de mon frère, et ce ne fut pas un rêve agréable, aussi fus-je très heureuse de le retrouver le lendemain matin, frais et dispos, les cheveux encore mouillés alors qu’il sortait de la douche, prêt à célébrer la messe dans la chapelle.
Mon père, l’homme du jour, était assis au premier rang, à côté de ma mère. Je voyais leur dos, celui de mon père plus courbé, et je me sentis fière d’eux, de la grande famille qu’ils avaient fondée, de l’amour qu’ils avaient donné à leurs neuf enfants et dont ils comblaient maintenant leurs innombrables petits-enfants. Je les regardais en me disant qu’ils avaient passé toute leur vie ensemble, en partageant joies et peines, indestructibles dans leur imité, inséparables.
En sortant de la messe, les plus jeunes allèrent jouer dans le jardin, fatigués d’avoir dû rester immobiles pendant la cérémonie, et les autres entrèrent dans la maison prendre le petit déjeuner. Nièces et neveux se mirent à un bout de la table tandis que les adultes se regroupaient à l’autre. Dès que je le pus, je pris à part Stefano, le quatrième de Giacoma, et l’emmenai dans un coin :
— Tu étudies bien l’informatique, n’est-ce pas, Stefano ?
— Oui, ma tante, dit-il en me regardant un peu inquiet, comme si je m’étais transformée soudain et allais lui planter un couteau dans l’estomac. (Pourquoi les adolescents sont-ils si bizarres ?)
— Et tu as un ordinateur connecté à Internet dans ta chambre ?
— Oui, ma tante. (Il souriait avec fierté
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