Le Dernier Caton
texte manuscrit, mais ce que je ne pouvais absolument pas faire, c’était deviner ce qui avait été écrit sur ces parchemins rigides, translucides, jaunis, dont les lettres effacées par les siècles étaient pratiquement illisibles.
Le manuscrit Iyasus, comme nous l’appelâmes en l’honneur de notre Éthiopien, se trouvait dans un état vraiment lamentable. Selon le capitaine, après avoir exploré la bibliothèque pendant deux jours, il avait découvert, avec le professeur, dans un coin, près d’un tas de bûches que les moines utilisent pour chauffer la salle en hiver, un panier rempli de parchemins et de papiers desséchés qui servaient à allumer le feu. Pour distraire le père Serge, tandis que Glauser-Röist examinait le contenu du panier, Boswell avait débouché une bouteille du vin égyptien Omar Khayyam, un luxueux plaisir réservé aux non-musulmans et aux touristes. Le professeur, attentif, avait pensé à en prendre plusieurs bouteilles à Alexandrie pour les offrir à l’archevêque Damianos. Le père Serge, ravi, invita alors Boswell à goûter une autre bouteille d’un vin fait au monastère et, entre une chose et l’autre, tous deux finirent fin saouls en chantant allègrement de vieilles chansons égyptiennes (le père Serge avait été marin avant d’être moine) et en poussant des exclamations de joie quand ils virent réapparaître Glauser-Röist qui tenait, caché sous sa chemise, le manuscrit Iyasus.
Le livre se trouvait sous un tas de feuilles comme d’autres volumes en aussi piteux état, abandonnés là soit en raison de leur mauvais état de conservation, soit parce qu’ils étaient dépourvus de toute valeur. En voyant les lettres figurant sur sa couverture sous l’épaisse couche de poussière qu’il venait d’essuyer, Glauser-Röist avait lâché une exclamation de surprise telle qu’il avait cru réveiller le monastère entier. Heureusement, personne ne l’avait entendu.
Le lendemain, il quittait les lieux avec le professeur Boswell. Les moines avaient dû subodorer quelque chose en voyant la gueule de bois du père Serge, car à quelques kilomètres du Caire, alors qu’il faisait presque nuit déjà, le portable de Boswell sonna. C’était le secrétaire de Stephanos II Ghattas qui leur recommandait de ne pas entrer dans la ville, ni dans aucune autre ville égyptienne, mais de se diriger le plus rapidement possible vers l’est, vers Israël, par des routes secondaires, et de passer la frontière pour échapper à la police qui avait été prévenue d’un vol de manuscrit par deux imposteurs qui avaient fait boire le bibliothécaire du monastère de Sainte-Catherine. Ils avaient passé la frontière au poste d’Al-Arish où les attendait déjà un représentant de la Délégation apostolique de Jérusalem, avec des passeports diplomatiques du Saint-Siège. Un avion de la compagnie El Al les avait déposés trois heures plus tard à l’aéroport militaire de Rome, Ciampino, tandis que de mon côté je prenais mon vol de retour.
C’était le début d’une longue aventure mais nous n’avions pas encore la moindre idée de son ampleur.
En feuilletant le livre cette nuit-là, je sus que sa détérioration était si importante que nous arriverions difficilement à en extraire ne serait-ce que deux paragraphes dans des conditions suffisamment acceptables pour que je puisse travailler dessus. Les pages étaient couvertes de taches et d’ombres, comme une aquarelle sur laquelle on aurait renversé de l’eau. Le parchemin, qui est comme la peau tendue d’un tambour, est moins perméable à l’encre que le papier ; avec le temps, elle s’estompe et s’efface parfois totalement, selon les matériaux utilisés pour sa composition. Si ce manuscrit avait contenu un jour une information utile expliquant les raisons pour lesquelles Abi-Ruj Iyasus et certainement d’autres avant lui avaient volé des fragments de la Croix, ce n’était plus le cas aujourd’hui… Du moins, c’est ce que je pensais alors, moi simple paléographe du Vatican et non archéologue du réputé Musée gréco-romain d’Alexandrie. Ma connaissance des procédés techniques utilisés pour récupérer les phrases des papyrus et parchemins anciens laissait beaucoup à désirer, comme me l’expliqua clairement le professeur Farag Boswell.
Le vendredi matin, tandis que je dormais encore dans une des chambres de la Domus mise à ma disposition, le père Ramondino descendit jusqu’à
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