Le Dernier Caton
la sécurité de la relique garantie en échange de la collaboration de la confrérie dans la localisation des trésors chrétiens et juifs soigneusement cachés dans la ville depuis que la nouvelle de l’arrivée imminente des musulmans s’était propagée. Les deux parties tinrent parole. Et, durant plusieurs années, les trois religions monothéistes cohabitèrent en paix.
De profondes transformations eurent lieu alors au sein de la confrérie. Ayant retenu la double leçon de la perte précédente de la relique et du bon résultat des négociations avec le calife, les stavrophilakes, convaincus que leur seule mission était la protection de la Croix, se firent plus réservés vis-à-vis des patriarches, et plus indépendants. Plus invisibles, et plus puissants. Des hommes des meilleures familles de Constantinople, Antioche, Alexandrie et Athènes, mais aussi de villes italiennes comme Florence, Ravenne, Milan, Rome, entrèrent dans leurs rangs… Ce n’était plus un groupe d’hommes farouches prêts à en découdre avec tout pèlerin qui oserait toucher la Croix. Il s’agissait désormais d’hommes éduqués et cultivés. La confrérie était davantage composée de militaires et de diplomates que de diacres et de moines.
Comment étaient-ils parvenus à ce résultat ? En appliquant ce que Caton II avait proposé dès le IV e siècle : établir une liste d’épreuves à réussir pour entrer dans la confrérie. Les nouveaux aspirants devaient savoir lire et écrire, parler le latin et le grec, connaître les mathématiques, la musique, l’astrologie et la philosophie, et accomplir des épreuves physiques d’endurance et de force. La confrérie se transforma en peu de temps en une institution importante et indépendante, toujours attentive à sa mission singulière.
Les problèmes revinrent avec les nouvelles vagues de pèlerins européens, des gens de toute classe et de toute condition, parmi lesquels dominaient les vagabonds, les mendiants, les voleurs, les ascètes, les aventuriers et les mystiques ; des voyageurs pittoresques qui cherchaient un lieu où vivre et mourir. Au cours des IX e et X e siècles, la situation s’aggrava ; les califes de Jérusalem ne se montrèrent plus aussi magnanimes que leur prédécesseur, Omar. Ils finirent par interdire l’entrée dans les Lieux saints. En 1009, le calife Al Hakim ordonna la destruction de tous les sanctuaires qui n’étaient pas musulmans. Et, tandis que ses soldats démolissaient églises et temples, les stavrophilakes coururent cacher la Croix dans le lieu prévu à cet effet : une crypte située sous la basilique du Saint-Sépulcre. Ils réussirent ainsi à la sauver, mais cela coûta la vie à plusieurs de leurs membres, qui durent se battre corps à corps avec les soldats pour laisser à leurs frères le temps de parvenir à la cachette.
L’atelier de reproduction photographique termina le folio 182, le dernier, l’après-midi du deuxième dimanche de Pâques. Mes adjoints achevèrent les analyses paléographiques deux jours après, début mai. Il ne me restait plus qu’à finir ma tâche, la plus lente et désordonnée. Une réorganisation fut nécessaire. Après avoir libéré les membres des services qui avaient terminé leur travail, ma section au complet s’occupa des traductions. De cette manière, le capitaine, Farag et moi pûmes nous asseoir tranquillement pour lire les pages que nous faisaient parvenir les experts du laboratoire.
En 1054, sans que cela surprît quiconque, éclata le schisme d’Orient. Romains et orthodoxes s’affrontèrent ouvertement sur des questions futiles de théologie et de répartition des pouvoirs. Rome prétendait que le pape était le seul successeur direct de Pierre ; les patriarches repoussaient cette idée en prétendant qu’ils étaient les successeurs légitimes de l’Apôtre selon le modèle des premières communautés chrétiennes. Les stavrophilakes ne s’allièrent ni avec les uns ni avec les autres, en dépit de l’insoutenable position dans laquelle ils se trouvaient. Ils n’étaient fidèles qu’à eux-mêmes, et à la Croix. Leur attitude par rapport au monde extérieur était empreinte d’une profonde méfiance, qui se faisait de plus en plus grande à chaque nouvelle convulsion politique ou religieuse.
Tandis que Caton étudiait l’adoption de mesures urgentes pour protéger la confrérie des critiques et attaques dont elle faisait l’objet de la part des deux
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