Le Dernier Caton
maintenant, dit-il. Je regrette, mais je ne peux pas vous accompagner, je ne dois pas laisser le magasin. Prévenez-moi quand vous aurez fini.
Sur ces mots secs il disparut, ce dont je lui fus infiniment reconnaissante car il sentait vraiment mauvais.
— De nouveau au centre de la terre ! s’exclama joyeusement Farag en commençant la descente, plein d’enthousiasme.
— J’espère revoir un jour la lumière du jour, marmonnai-je en le suivant.
— Je ne crois pas, professeur.
Je me tournai pour regarder le capitaine d’un air sombre.
— À cause de la fin du millénaire, vous savez, dit-il, aussi sérieux que d’habitude. Le monde sera détruit un de ces jours. Ce sera peut-être pendant que nous serons dans la crypte.
— Ottavia ! (Farag se dépêchait d’intervenir.) Ne réponds pas !
Je ne comptais pas le faire. Il y a des bêtises qui ne méritent pas de réponse.
Ce prêtre vaniteux nous avait trompés au sujet de la lumière. À peine arrivés au bout de l’escalier, nous nous retrouvâmes plongés dans l’obscurité. Même remonter eût été trop difficile. Nous devions nous trouver à quelques mètres en dessous du niveau du Tibre.
— Il n’y a pas de lumière dans ce trou, dit Farag à ma droite.
— Non, pas dans la crypte, annonça le capitaine. Mais je le savais, ne vous inquiétez pas, j’ai pris ma torche électrique.
— Et le père Bonuomo n’aurait pas pu nous le dire avant de nous inviter à descendre ? m’étonnai-je. D’ailleurs, comment font-ils pour les touristes et autres visiteurs ?
— Vous n’avez pas remarqué qu’il n’y a aucun écriteau annonçant les heures de visite ?
— C’est bien ce que je pensais. En effet, je suis souvent venue ici et j’ignorais l’existence d’une crypte.
— C’est quand même étrange qu’il n’y ait pas du tout d’éclairage, reprit Glauser-Röist en allumant enfin sa torche, qui diffusa un intense rayon de lumière. Et qu’un prêtre ose discuter les ordres du Vatican et ne nous accompagne pas pendant la visite.
Il dirigea le faisceau lumineux vers le fond de la crypte, et je compris alors mieux que jamais le sens du mot kripte, dérivé du grec, qui signifie cacher, occulter. Je distinguai d’abord un petit autel dans la nef centrale – car l’endroit avait la forme exacte d’une église, à une échelle réduite, mais comportant la division habituelle en trois nefs séparées par des colonnes avec les chapelles latérales qui leur correspondaient, plongées dans l’obscurité.
— Insinuez-vous, capitaine, voulut savoir Farag, que le père Bonuomo pourrait être un stavrophilake ?
— De la même manière que le sacristain de Sainte-Lucie.
— Alors, c’en est un, dis-je d’un ton convaincu.
— Nous n’avons aucune preuve, professeur, c’est juste une intuition et, comme vous le savez sans doute, les intuitions ne suffisent pas.
— Au fait, comment se fait-il que vous connaissiez l’existence de ce lieu presque clandestin ? demandai-je avec curiosité.
— J’ai effectué quelques recherches sur Internet. On trouve presque tout sur la Toile. Mais ça ne vous étonne pas, si ?
— Moi ? me récriai-je, mais je sais à peine me servir d’un ordinateur.
— Et pourtant, c’est bien sur Internet que vous avez trouvé toutes les informations concernant l’affaire des Ligna Crucis et l’accident d’avion d’Abi-Ruj Iyasus ?
La question, ainsi posée de but en blanc, me rendit muette. Je ne pouvais confesser que j’avais impliqué mon pauvre neveu Stefano dans l’enquête, ni mentir. Et puis, à quoi bon ? Au point où nous en étions, mes aveux devaient se lire sur mon visage.
Glauser-Röist n’attendit pas ma réponse. Il avança vers la droite et en passant me tendit une torche identique à celle qu’il venait de donner à Farag. Nous pûmes nous séparer et le lieu éclairé par nos trois torches parut moins inhospitalier.
— Cette crypte est connue sous le nom de crypte d’Hadrien, en l’honneur du pape Hadrien I er qui exigea sa restauration, nous expliqua Glauser-Röist tandis que nous examinions l’endroit. Mais sa construction date du III e siècle, de l’époque des persécutions de Dioclétien, quand les premiers chrétiens décidèrent de profiter des fondations du temple païen qui se trouvait ici pour y édifier une petite église secrète. Ces bouts de pierre qui ressortent sur le revêtement du mur sont les restes du temple
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