Le Dernier Caton
par leurs souffrances, leur souhaite un rapide passage par le Purgatoire pour qu’ils puissent atteindre bientôt les « sphères étoilées ». Virgile, de son côté, toujours plus pratique, demande à ces âmes de leur indiquer le chemin de la deuxième corniche.
Mais quelqu’un dit : « Venez vers la droite avec nous
sur le bord et vous trouverez le passage
par où peut monter un vivant. »
En chemin, de même que dans l’Antipurgatoire, ils ont de nombreuses conversations avec de vieux amis de Dante ou des personnages célèbres, qui les mettent en garde contre l’orgueil et la vanité, comme s’ils devinaient que c’est sur cette corniche que pourrait se retrouver le poète s’il ne se purifiait pas à temps. Enfin, après de longues marches et conversations, commence un nouveau chant au début duquel Virgile exhorte le Florentin à laisser les âmes en paix pour se concentrer sur la montée :
Quand il me dit : « Regarde vers le sol,
car il te conviendra, pour assurer ta route,
de voir le lit où tu mets les pieds. »
Dante, obéissant, regarde le sentier ; il est recouvert de merveilleuses images gravées. Suit alors une longue scène, de douze tercets environ, dans laquelle sont décrites avec force détails les scènes représentées : Lucifer qui tombe du Ciel comme un éclair ; Briarée, agonisant après s’être soulevé contre les dieux de l’Olympe ; Nemrod, devenu fou en voyant la fin de sa belle tour de Babel ; Saül se suicidant après la défaite de Gelboé… De nombreux exemples légendaires, bibliques ou historiques, d’orgueil châtié. Tandis qu’il marche complètement penché en avant pour ne perdre aucun détail, le poète florentin se demande, admiratif, quel artiste a pu créer de manière aussi magistrale ces ombres et ces traits.
Heureusement, me dis-je, rassurée, que Dante n’eut pas à transporter une pierre. Mais il dut quand même marcher courbé pendant un bon bout de temps pour regarder les reliefs. Si l’épreuve des stavrophilakes consistait juste à marcher, plié en deux, pendant quelques kilomètres, j’étais prête à commencer, même si mon instinct me disait que je me faisais des illusions, que ce ne pouvait pas être aussi simple. L’expérience de Syracuse m’avait profondément marquée, et je ne faisais plus aucune confiance au poète.
Enfin, les deux voyageurs parviennent à l’extrémité opposée de la corniche. Virgile dit alors à Dante de se préparer, de prendre une expression de respect et de surveiller son apparence, car un ange vêtu de blanc, « le visage pareil à la tremblante étoile du matin », s’approche d’eux pour les aider à sortir de là :
Il ouvrit les bras, puis les ailes et dit :
« Venez, ici les marches sont tout près,
et désormais on y monte aisément.
Rares sont ceux qui viennent à cette invitation :
ô race humaine, née pour voler au ciel,
pourquoi tombes-tu ainsi au moindre vent ? »
Des voix entonnent le Beati pauperes spiritu 15 tandis qu’ils commencent à monter l’escalier raide. Dante, qui jusque-là a commenté plusieurs fois sa fatigue physique, s’étonne de la sensation de légèreté qu’il éprouve. Virgile se tourne vers lui et lui dit que, bien qu’il ne s’en soit pas rendu compte, l’ange a effacé d’un coup d’aile un des sept « P » gravés sur son front. Dante Alighieri vient de se délivrer du péché d’orgueil.
À cet instant, je m’endormis sur ma table, exténuée. Je n’avais pas autant de chance que le poète florentin.
Dans mon sommeil agité, rempli d’images de la crypte de Syracuse et de menaces indéfinissables, Farag apparaissait, très souriant, et me rassurait. Je saisissais sa main avec désespoir parce qu’il représentait ma seule chance de salut, et il m’appelait par mon prénom avec une douceur infinie.
— Ottavia… Ottavia… Réveille-toi…
— Professeur, il se fait tard, brama Glauser-Röist sans pitié.
Je gémis sans pouvoir sortir de mon rêve. J’avais un terrible mal de tête, qui s’intensifia lorsque j’ouvris les yeux.
— Ottavia, il est déjà trois heures.
— Je suis désolée, réussis-je enfin à dire en me levant avec peine. Je me suis endormie. Je suis désolée.
— Nous sommes tous épuisés, affirma Farag. Mais nous nous reposerons ce soir, tu verras. Dès que nous serons sortis de l’église de Sainte-Marie in Cosmedin, nous irons directement à
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