Le dernier royaume
belles
putains, en Franquie. Dodues, jolies et bon marché. Viens.
Il m’entraîna vers la rivière. La ville était en effervescence,
les boutiques grouillaient de monde et les rues étaient envahies de mules
trébuchant sous leur charge. Un troupeau de petits moutons à toison noire menés
à l’abattoir fut le seul à ne pas s’écarter devant Ragnar, dont la renommée
inspirait le respect. Mais il ne s’agissait pas d’une sinistre réputation, car
je vis les sourires des Danes qu’il saluait. On l’appelait peut-être jarl
Ragnar – comte Ragnar –, mais il était immensément apprécié pour son esprit à
la fois farceur et guerrier qui balayait la peur comme des toiles d’araignées.
Il m’emmena au palais, qui n’était qu’une vaste maison, partiellement
construite par les Romains et agrandie depuis en bois et en chaume. C’est dans
la partie romaine, vaste salle aux piliers de pierre et aux murs chaulés, que
mon oncle m’attendait avec le père Beocca et une dizaine de soldats de mon
père.
Les yeux louches de Beocca s’agrandirent à ma vue. Je devais
paraître bien différent, car j’avais les cheveux longs, la peau hâlée, et
j’étais plus maigre, plus grand et plus nerveux. Et il remarqua immédiatement
le marteau autour de mon cou, car il désigna tour à tour son propre crucifix
puis mon amulette d’un air réprobateur. Ælfric et ses hommes me considérèrent
d’une mine renfrognée, mais personne ne parla, en partie à cause de la présence
des gardes d’Ivar, vêtus de cottes de mailles et casqués, armés de haches de
guerre aux longs manches. Ils étaient postés de l’autre côté de la salle où une
simple chaise, en guise de trône de Northumbrie, était posée sur une estrade de
bois.
Le roi Egbert arriva, accompagné d’Ivar le Sans-Os et de
Ravn qui, je l’avais appris, était le conseiller d’Ivar et de son frère. Ravn
était flanqué d’un homme de haute taille, aux cheveux blancs et à l’abondante
barbe blanche. Il portait une longue robe brodée de croix et d’anges ailés et
j’appris plus tard qu’il s’agissait de Wulfhere, l’archevêque d’Eoferwic qui,
comme Egbert, avait prêté allégeance aux Danes. Le roi s’assit, l’air mal à son
aise, et la discussion s’engagea.
Je n’étais pas le seul sujet de la conversation. Il fut
d’abord question des seigneurs de Northumbrie dignes de confiance, de ceux
qu’il fallait attaquer, des terres qui seraient attribuées à Ivar et à Ubba, du
tribut que devaient payer les Northumbriens, du nombre de chevaux à amener à
Eoferwic, de la quantité de vivres à donner à l’armée, des ealdormen qui
livreraient des otages, tandis que j’attendais, lassé, que l’on prononce mon
nom. Je levai le nez lorsque j’entendis mon oncle proposer de payer ma rançon.
Voilà à quoi cela se résumait, mais rien n’est jamais simple lorsque des hommes
se réunissent et décident de débattre. On se chamailla longuement sur le prix à
payer, les Danes exigeant la somme folle de trois cents pièces d’argent, et
Ælfric refusant d’aller au-delà de cinquante. Je restai silencieux et écoutai,
assis à l’écart sur les dalles romaines. De trois cents, on passa à deux cent
soixante-quinze, de cinquante à soixante, et cela continua ainsi, chaque
chiffre se rapprochant, sans pour autant se rejoindre. C’est alors que Ravn
prit la parole :
— Le jarl Uhtred, dit-il en dane (et ce fut la première
fois que je m’entendis donner ce titre) a prêté allégeance au roi Egbert. En
cela, il a un avantage sur toi, Ælfric.
Après la traduction, je perçus la colère d’Ælfric, de
n’avoir pas eu droit à son titre. Mais il n’en avait réellement aucun, en
dehors de celui qu’il s’était conféré lui-même, ce que j’appris lorsque Beocca
répondit pour lui :
— L’ealdorman Ælfric, traduisit le prêtre, juge que le
serment d’un enfant ne compte pas.
Avais-je prêté serment ? Je ne m’en souvenais pas, même
si j’avais demandé la protection d’Egbert, et j’étais assez jeune pour
confondre les deux. Cependant, cela n’avait aucune importance. Ce qui comptait,
c’est que mon oncle avait usurpé Bebbanburg. Il se qualifiait d’ealdorman. Je
le fixai, choqué, et il me toisa, le visage déformé par la haine.
— Il nous paraît plus souhaitable, dit Ravn en levant
ses yeux aveugles vers le toit où manquaient des tuiles et par où tombaient
quelques gouttes de pluie,
Weitere Kostenlose Bücher