Le dernier royaume
d’installer à Bebbanburg notre propre jarl, qui a
prêté allégeance et nous est donc loyal, plutôt que d’y supporter un homme dont
la loyauté est discutable.
Sentant le vent changer, Ælfric s’approcha de l’estrade,
s’agenouilla devant Egbert et baisa sa main tendue. En échange, il reçut la
bénédiction de l’archevêque.
— J’offre cent pièces d’argent, concéda-t-il, ayant
prêté allégeance.
— Deux cents, dit Ravn. Et trente Danes resteront en
garnison à Bebbanburg.
— Puisque j’ai prêté allégeance, répliqua Ælfric d’un
ton furieux, vous n’aurez nul besoin de Danes à Bebbanburg.
Bebbanburg n’était donc pas tombée et je doutais que cela
arrive jamais. Il n’y avait pas plus imprenable forteresse dans toute la
Northumbrie, et peut-être dans toute l’Anglie.
Ivar n’avait toujours pas parlé, mais il était évident que
toute cette cérémonie l’ennuyait, car il adressa un signe de tête à Ragnar.
Nous attendîmes. Ivar et Ragnar étaient liés par une amitié improbable, car ils
étaient très différents, Ivar tout en silences sauvages et menaces sinistres,
et Ragnar franc et tapageur. Pourtant, l’aîné de Ragnar servait Ivar, lequel
l’avait même promu chef en Irlande, alors qu’il n’avait que dix-huit ans. Il
arrivait souvent que les aînés servent d’autres seigneurs : Ragnar avait à
son bord deux fils de jarls qui pouvaient un jour recevoir des richesses et une
bonne situation s’ils apprenaient à se battre. Aussi Ragnar et Ivar
discutaient-ils tandis qu’Ælfric se dandinait, que Beocca priait et qu’Egbert,
n’ayant rien d’autre à faire, s’efforçait d’avoir l’air royal.
Ivar finit par prendre la parole.
— Le garçon n’est pas à vendre, annonça-t-il.
— Moyennant rançon, corrigea délicatement Ravn.
Ælfric s’emporta.
— Je suis venu… commença-t-il.
— Il n’y aura pas de rançon, l’interrompit Ivar avant
de tourner les talons et de quitter la vaste salle.
Egbert, embarrassé, se leva à demi de son trône, se rassit,
et Ragnar vint me rejoindre.
— Tu es à moi, dit-il à voix basse. Je viens de
t’acheter.
— M’acheter ?
— Le poids de mon épée en argent.
— Pourquoi ?
— Peut-être ai-je envie de te sacrifier à Odin…
sourit-il en m’ébouriffant les cheveux. Nous t’aimons bien, mon garçon. Assez
pour te garder. Et puis ton oncle n’a pas proposé assez d’argent.
— Te portes-tu bien ? me demanda Beocca qui était
accouru.
— Oui.
— Cette chose que tu as au cou… dit-il en tendant la
main vers le marteau de Thor, comme s’il voulait l’arracher.
— Touche à ce garçon, prêtre, clama Ragnar d’un ton rude,
et je te redresse tes yeux de travers avant de fendre ta maigre carcasse en
deux, du ventre à la gorge.
Bien sûr, Beocca n’y entendit rien, mais le ton était
suffisamment clair et il s’arrêta à un pouce du marteau. Il baissa la voix pour
que je sois seul à l’entendre.
— Ton oncle te tuera, chuchota-t-il.
— Me tuer, moi ?
— Il veut être ealdorman. C’est pourquoi il voulait
payer ta rançon. Pour pouvoir te tuer.
— Mais… protestai-je.
— Chut. (Mes mains bleues l’intriguaient, mais il ne me
posa pas de question.) Je sais que tu es l’ealdorman, déclara-t-il, et nous
nous reverrons.
Il me sourit, jeta un regard circonspect à Ragnar et s’en
fut.
Ælfric se retira. J’appris plus tard qu’il avait reçu
l’assurance d’entrer et de sortir sain et sauf d’Eoferwic, promesse qui avait
été tenue ; mais après l’entrevue, il se retira à Bebbanburg et s’y
cantonna. Il se montrait ostensiblement loyal envers Egbert, ce qui signifiait
qu’il acceptait la suzeraineté des Danes, mais eux n’avaient pas encore appris
à lui faire confiance.
— J’aime Bebbanburg, m’expliqua Ragnar. Je la veux.
— Elle est à moi, me butai-je.
— Et toi à moi, ce qui signifie que Bebbanburg
m’appartient. Tu es à moi, Uhtred, parce que je viens de t’acheter, et je peux
faire ce qui me plaît de toi. Je peux te faire cuire, si je veux, mais tu n’as
pas assez de chair sur les os pour nourrir une fouine. À présent, ôte cette
tunique, rends-moi les chaussures et le casque, et retourne travailler.
J’étais donc de nouveau un serf, et heureux. Parfois, quand
je raconte mon histoire aux miens, ils me demandent pourquoi je n’ai pas fui
les païens, pourquoi je ne suis pas parti vers le sud,
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