Le dernier royaume
l’a raconté, l’un des moines lui avait
promis que Dieu nimberait les lieux dans une brume éternelle où se perdraient
les païens. Mais en fait de brouillard, ce furent les Danes qui arrivèrent.
Ivar, Ubba et leur frère Halfdan chevauchèrent jusqu’à Dic
avec la moitié de leur armée, tandis que l’autre commençait à pacifier
l’Anglie, c’est-à-dire à violer, incendier et tuer jusqu’à ce que la population
se soumette, ce qu’elle fit bientôt. L’Estanglie tomba aussi aisément que la
Mercie, et la seule mauvaise nouvelle pour les Danes fut l’annonce de troubles
en Northumbrie. On parlait de révolte, de Danes tués. Ivar n’osant quitter
l’Estanglie si vite après sa victoire, il proposa au roi Edmond de conserver
son trône, tout comme Burghred en Mercie.
L’entrevue se déroula à Dic, dans l’église du monastère, un
bâtiment étonnamment vaste, en bois et en chaume, orné de grandes tentures de
cuir peintes de scènes de couleurs vives. L’une d’elles représentait des êtres
nus précipités dans l’enfer où un énorme serpent aux crochets immenses les
engloutissait.
— Le Faucheur de cadavres, dit Ragnar en frissonnant.
— Le Faucheur de cadavres ?
— C’est un serpent qui attend dans le Niflheim,
expliqua-t-il en touchant le marteau de Thor autour de son cou. (Le Niflheim,
je le savais, était l’enfer norois, et à la différence de celui des chrétiens
il y régnait un froid glacial.) Le Faucheur se nourrit des morts, continua
Ragnar, mais il ronge aussi l’arbre de la vie pour anéantir le monde entier.
Il toucha de nouveau son amulette.
Une tenture près de l’autel représentait le Christ sur la
croix, mais c’est la troisième qui fascina Ivar. Un homme vêtu d’un pagne,
attaché à un poteau, servait de cible à des archers. Une douzaine de flèches
perçaient sa chair blanche, mais il arborait encore une expression béate et un
sourire, comme s’il savourait sa périlleuse situation.
— Qui est-ce ? demanda Ivar.
— Le bienheureux saint Sébastien.
Le roi Edmond était assis devant l’autel et c’est son
interprète qui avait répondu. Ivar, son regard de spectre fixé sur la peinture,
voulait connaître toute l’histoire. Edmond raconta comment saint Sébastien, un
soldat romain ayant refusé d’abjurer sa foi, avait été condamné par l’empereur
à périr sous les flèches.
— Et pourtant, il a survécu ! s’extasia Edmond. Il
a survécu parce que Dieu l’a protégé. Dieu soit loué pour Sa miséricorde !
— Il a survécu ? interrogea Ivar, sceptique.
— Et l’empereur l’a fait exécuter à coups de massue,
conclut l’interprète.
— Il est donc mort ?
— Il est allé au paradis, répliqua Edmond. Donc, il a
survécu.
Ubba ricana. Ses deux frères et lui étaient accompagnés
d’autant de guerriers que pouvait en accueillir l’église, alors que le roi
Edmond n’était entouré que de deux prêtres et six moines pour écouter la
proposition d’Ivar. Le roi Edmond avait la vie sauve, il pourrait régner sur
l’Estanglie, mais les principales forteresses seraient aux mains des Danes, qui
avaient le droit de cultiver les terres de leur choix, hormis les domaines
royaux. Edmond fournirait des chevaux à l’armée dane, paierait et nourrirait
les soldats. Edmond n’avait pas de fils, mais les enfants des lieutenants
survivants seraient pris en otage afin d’assurer le respect de l’accord.
— Et si je refuse ? demanda Edmond.
— Nous prendrons toute la terre, répondit Ivar, amusé.
Le roi consulta ses prêtres. Edmond était un homme grand et
maigre, chauve comme un œuf alors qu’il n’avait que la trentaine, les yeux
exorbités, la bouche pincée et les sourcils perpétuellement froncés. Le froc blanc
qu’il portait lui donnait l’air d’un moine.
— Qu’en est-il de l’église de Dieu ? demanda-t-il
encore à Ivar.
— Comment cela ?
— Vos hommes ont profané les autels de Dieu, massacré
Ses serviteurs et pillé Ses biens !
Le roi Edmond était en colère. Il se cramponnait à son
fauteuil en martelant ses accusations.
— Ton dieu ne peut-il se défendre tout seul ?
s’enquit Ubba.
— Notre dieu est tout-puissant. Il a créé le monde, et
Il permet l’existence du mal, afin de nous mettre à l’épreuve.
— Amen, murmura l’un des prêtres tandis que
l’interprète d’Ivar traduisait.
— Il vous a fait venir, cracha le roi, païens du
Nord !
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