Le dernier royaume
Jérémie l’avait prédit !
— Jérémie ? demanda Ivar, à présent déconcerté.
L’un des moines saisit un livre, le premier que je voyais
depuis bien des années. Il en ôta la couverture de cuir, tourna les pages
cassantes et le tendit au roi, qui sortit de sa poche une petite baguette
d’ivoire dont il se servit pour désigner les mots qu’il lisait.
— Quia malum ego, abduco ab aquilone et contritionem
magnam ! C’est dans la Bible ! s’exclama Edmond en rendant le
volume au moine.
— Tu peux garder ton église, concéda Ivar d’un ton
indifférent.
— Cela ne suffit point ! ajouta Edmond qui se leva
pour appuyer ses paroles. Je régnerai ici, continua-t-il, et je subirai votre
présence si je le dois, et je vous fournirai chevaux, vivres, argent et otages,
mais seulement si toi et tous tes hommes vous soumettez à Dieu. Vous devez être
baptisés !
Les deux interprètes butèrent sur le mot et Ubba me demanda
mon aide du regard.
— Il faut se tenir dans un tonneau rempli d’eau,
expliquai-je, me rappelant ce qu’avait fait Beocca après la mort de mon frère,
et on verse de l’eau sur toi.
— Ils veulent me laver ? demanda Ubba, stupéfait.
— Vous deviendrez chrétiens ! dit Edmond avant de
s’adresser à moi d’un air irrité. Nous pouvons baptiser dans la rivière, mon
garçon. Un tonneau n’est point nécessaire.
— Ils veulent te laver dans la rivière, traduisis-je à
Ivar et Ubba qui éclatèrent de rire.
Ivar réfléchit à la question. Rester planté dans une rivière
quelques minutes n’était pas un bien grand mal, surtout si cela lui permettait
de retourner en Northumbrie ramener le calme.
— Je peux continuer d’adorer Odin une fois lavé ?
demanda-t-il.
— Bien sûr que non ! s’emporta Edmond. Il n’y a
qu’un seul Dieu !
— Il y en a de nombreux, répliqua Ivar. Tout le monde
le sait !
— Il n’y a qu’un seul Dieu et vous devez Le servir.
— Mais nous sommes victorieux, expliqua patiemment Ivar
comme s’il s’adressait à un enfant. Nos dieux ont battu le tien.
Le roi frémit devant cette hérésie.
— Vos dieux sont de faux dieux. Ce sont des étrons du
diable, des créatures malsaines qui apportent les ténèbres sur le monde, alors
que notre Dieu est grand, tout-puissant et magnifique.
— Montre-le moi, défia Ivar.
Un silence s’abattit.
— Prouve tes paroles, insista Ivar, tandis que les
Danes murmuraient leur approbation.
Le roi Edmond cligna des paupières, ne trouvant clairement
aucune inspiration, puis il désigna la tenture de cuir qui représentait le
martyre de saint Sébastien.
— Notre Dieu a épargné à saint Sébastien la mort sous
les flèches, dit-il. Voilà une preuve suffisante, n’est-ce pas ?
— Mais il est tout de même mort, fit remarquer Ivar.
— Parce que telle était la volonté de Dieu.
Ivar réfléchit.
— Donc, ton dieu te protégerait de mes flèches ?
demanda-t-il.
— Si telle est sa volonté, oui.
— Essayons, alors, proposa Ivar. Nous allons tirer sur
toi. Si tu survis, nous nous ferons tous laver.
Edmond considéra le Dane en se demandant s’il était sérieux,
et se décomposa en voyant qu’Ivar ne plaisantait point. Le roi ouvrit la
bouche, ne trouva rien à dire et la referma. Puis l’un des moines tonsurés lui
murmura quelque chose. Il devait sans doute arguer que Dieu proposait cette
épreuve afin qu’un miracle se produisît : les Danes deviendraient
chrétiens, nous serions tous amis et nous finirions par chanter ensemble sur
les cimes du paradis. Le roi ne parut pas totalement convaincu, mais les Danes
voulaient tenter le miracle : à présent, ce n’était plus à Edmond de
décider.
Une douzaine d’hommes écartèrent prêtres et moines pendant
que d’autres allaient chercher arcs et flèches. Le roi s’agenouilla devant
l’autel, priant comme aucun homme n’avait jamais prié. Les Danes souriaient
malicieusement. Je crois que j’espérais être le témoin d’un miracle, non parce
que j’étais chrétien mais parce que je n’en avais jamais vu aucun. Personne
n’avait jamais marché sur l’eau à Bebbanburg, nul lépreux n’y avait jamais été
guéri, et aucun ange ne remplissait le ciel nocturne de sa gloire flamboyante…
À présent, peut-être pourrais-je constater cette puissance de Dieu dont Beocca
m’avait si souvent fait l’éloge. Brida, elle, voulait simplement voir Edmond
mort.
— Es-tu prêt ?
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