Le dernier templier

dans le champ de vision d’aucun passant. Ensuite, il sortit du sac un paquet grossier enveloppé dans du papier journal. Pas un instant il ne quitta Lucien des yeux.
    Quand son visiteur dévoila enfin l’objet, le Français resta bouche bée, les yeux écarquillés. C’était une croix d’or incrustée de joyaux, d’environ cinquante centimètres de long. La minutie des détails était époustouflante.
    Gus déposa le crucifix sur le papier étalé. Il entendait la respiration sifflante de l’antiquaire. Celui-ci avait l’impression qu’un étau lui comprimait la poitrine.
    — Mon Dieu, mon Dieu !
    Le Français plongea son regard dans celui de l’Américain. De grosses gouttes de sueur perlaient maintenant sur son front.
    — Bon sang, Gus !
    Bien. Il avait compris.
    Boussard baissa à nouveau les yeux vers l’objet et Waldron l’imita. Il réalisa soudain que le journal était ouvert sur une photo du musée.
    — Ça vient de... du... balbutia le petit homme.
    — Ouais, répondit l’autre avec un sourire en coin. C’est quelque chose, hein ? Unique en son genre.
    Les lèvres de Lucien se tordaient de désespoir.
    — Non, mais il est complètement taré, ce mec ! Allons, Gus, je ne peux pas toucher à ça !
    Ce dernier ne lui demandait pas d’y toucher : il voulait juste qu’il vende la relique. Et il n’avait pas le temps d’attendre que des acheteurs potentiels se livrent à une guerre d’enchères. Au cours des six derniers mois, il avait connu une série noire au jeu. Par le passé, il s’était déjà retrouvé au fond du gouffre, mais pas à ce point. Et même dans ces périodes sombres, il n’avait jamais eu affaire au genre de types qui lui réclamaient leur argent. Durant pratiquement toute sa vie, les gens l’avaient craint. En tout cas au moins depuis le jour où, devenu plus grand et plus lourd, il avait rossé son ivrogne de père pour lui donner une leçon. Il avait quatorze ans. Or, aujourd’hui, pour la première fois depuis cette date, il découvrait ce que signifiait la peur. Les hommes qui avaient récupéré ses dettes de jeu appartenaient à une clique différente de celles qu’il avait connues. Ils le tueraient aussi facilement que lui-même écrasait un cafard.
    Si c’était par le jeu qu’il s’était perdu, celui-ci lui avait aussi procuré le moyen de s’en sortir. C’était aux courses qu’il avait fait la connaissance du type qui l’avait branché sur le musée. Le coup avait fonctionné et il allait pouvoir se tirer d’affaire. Bien sûr, on lui avait clairement ordonné de ne pas essayer de vendre la moindre pièce de butin avant au moins six mois.
    Mais au diable ces recommandations ! Il avait besoin d’argent et il en avait besoin tout de suite.
    — Écoute, ne t’inquiète pas de sa provenance, ordonna-t-il à l’antiquaire. Tu t’occupes simplement de trouver un acheteur à un bon prix.
    Lucien paraissait sur le point d’avoir une attaque.
    — Non, mais... écoute-moi, Gueusse, ce n’est pas possible. Absolument pas possible. On ne peut pas toucher à ça en ce moment. C’est trop chaud. Ce serait de la folie de...
    Gus attrapa Boussard à la gorge et le tira à moitié sur la table, qui branla dangereusement. Leurs visages n’étaient plus qu’à cinq centimètres l’un de l’autre.
    — Je me fous que ce soit de la dynamite, gronda-t-il. Y a des gens qui collectionnent cette came et tu sais où les trouver.
    — C’est trop tôt.
    Sous la pression qui s’exerçait autour de sa gorge, la voix de Lucien avait viré à l’aigu.
    Waldron le relâcha et le Français retomba sur son siège.
    — Me prends pas pour un demeuré, aboya-t-il. Tu sais très bien qu’y a des types qui vont vouloir t’acheter ce que je t’apporte justement à cause de ce que c’est et de sa provenance. Des cinglés paieront une fortune rien que pour l’enfermer dans leur coffre-fort. Tout ce que tu as à faire, c’est m’en trouver un et le trouver vite. Et n’envisage même pas d’essayer de m’avoir sur le prix. Tu auras dix pour cent de la somme. On crache pas sur dix pour cent d’une chose inestimable, hein ?
    Lucien déglutit avec peine. Il se frotta la nuque, puis sortit de sa poche un mouchoir de soie gris pour s’essuyer le visage. Ses yeux balayaient la pièce. Son esprit était en train de reconsidérer sa position. Relevant enfin la tête vers Gus, il hasarda :
    — Vingt.
    Quelque peu déconcerté, l’Américain le