Le dernier vol du faucon
mais le roi ne lui prêta aucune attention et continua de jeter des regards éperdus autour de lui, fouillant la pièce plongée dans la pénombre. Il repéra une jeune esclave et lança soudain, d'une voix étonnamment claire: «Va chercher le capitaine des gardes. Immédiatement!» L'ordre avait été prononcé sur un ton froid, impitoyable. La jeune fille rampa précipitamment à reculons vers la porte sans se le faire dire une seconde fois.
La brusque colère du roi retomba presque aussitôt et son visage se voila d'une infinie tristesse.
« Comment croire que notre ami de jeunesse, celui que nous avons aimé comme un frère, cet ami de toujours que nous avons couvert d'honneurs, se permettrait de nous trahir de la sorte?» murmura-t-il faiblement.
Il eut un pauvre sourire, poursuivant son monologue. «Te souviens-tu quand, il y a bien longtemps de cela, un énorme éléphant mâle, devenu furieux, chargeait droit sur nous en barrissant? Et comment notre ami Petraja a réagi en dirigeant son éléphant sur notre royale monture pour la pousser juste à temps hors de sa trajectoire ? Et comment nous avons perdu l'équilibre, tombant de notre howdah par terre avec seulement quelques égratignures ? » Le roi voulut rire mais sa gorge se noua. «Grâce à lui, nous sommes encore là aujourd'hui pour raconter cette histoire.»
Après cette longue tirade, il se tut, épuisé, pour aspirer de grandes bouffées d'air.
Les pensées de Petraja s'emballèrent. Pourquoi donc le roi parlait-il de trahison ? Il ne pouvait pas savoir...
Voyant que la princesse le fixait, l'air perplexe, il se força à rester. Un départ précipité aurait ressemblé à un aveu de culpabilité. Mieux valait chercher à se défendre. Mais il semblait que le roi n'en avait pas terminé avec l'évocation de ses souvenirs.
« Et toi, ma petite sœur, nous savons que tu n'as pas oublié cette petite paysanne du Nord que nous avons honorée de notre vigueur amoureuse quand nous étions encore jeunes et que nous repoussions l'ennemi de Birmanie. Elle nous a donné un fils que Petraja a adopté comme s'il l'avait lui-même conçu car nous ne pouvions le reconnaître nous-même. Hélas, le garçon s'est révélé n'être qu'un œuf pourri, mais notre ami a supporté sa nature sauvage pendant toutes ces années sans le répudier. Tout cela pour nous être agréable. »
Bouleversé, le roi se mit à sangloter et la princesse se tourna une nouvelle fois vers Petraja pour l'observer.
«Noble Dame, votre frère délire, affirma le général. Il faut que j'aille chercher un médecin.
- Ne partez pas», murmura-t-ellc.
Petraja ne sut s'il s'agissait d'un ordre ou d'une prière. Manifestement, la princesse n'avait pas encore d'avis précis à son sujet. Il lui fallait la convaincre rapidement de son innocence ou trouver un prétexte pour quitter au plus vite les lieux.
Il s'apprêtait à reprendre la parole lorsque le roi s'assit brusquement sur son lit. «Où est le capitaine de notre garde? gronda-t-il. Devrons-nous aller le chercher nous-même ? »
La princesse s'efforça de le calmer. « Noble frère, nous l'avons fait appeler.»
Mais le roi ne l'écoutait pas. Il retomba sur ses oreillers épuisé, les yeux clos. Au même instant, le capitaine des gardes entra dans la chambre et se pros-
terna devant le lit d'où s'élevait, à présent, un léger ronflement. Le roi avait sombré dans le sommeil.
Petraja saisit l'occasion pour se tourner vivement vers le capitaine de la garde qu'il connaissait personnellement.
« Bira, Sa Majesté délire. Reste auprès d'elle pendant que je vais chercher un médecin. »
Il commença à ramper à reculons en direction de la porte mais la princesse intervint.
« Non ! cria-t-elle Arrêtez-le ! Arrêtez Petraja ! »
Bira la contempla, abasourdi. Il jeta un coup d'oeil incertain à Petraja qui s'était figé.
« Le Seigneur de la Vie a ordonné son arrestation, reprit la princesse. Vous ne voyez donc pas qu'il cherche à s'enfuir!»
Le garde allait intervenir quand la voix du Seigneur de la Vie s'éleva de nouveau, l'immobilisant net. Selon la loi, il lui était interdit d'agir lorsque son maître s'adressait à lui.
«Où est le capitaine de notre garde?» murmura le roi.
Petraja n'attendit pas la réponse et se rua vers la porte. Quelque chose de terrible venait d'arriver mais ce n'était pas le moment de chercher à comprendre. Il était seul et sans armes comme l'exigeait le règlement intérieur,
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