Le dernier vol du faucon
lignée, Sorasak, et que tu ne partages pas sa honte silencieuse. »
Sa tante l'avait regardé dans les yeux d'une manière qu'il n'oublierait jamais avant d'ajouter: « Le Seigneur de la Vie n'a pas d'autre fils. »
La honte n'était plus de mise. Seul restait le temps de la colère. Ils allaient tous payer pour ces années de mensonge et de frustration. Le pays était prêt pour accueillir un nouveau roi, un combattant sans peur qui jetterait dehors tous ces farangs parasites, à commencer par ce démon de Vichaiyen. Non, d'ailleurs. En y réfléchissant bien, Vichaiyen serait le seul qu'il ne mettrait pas à la porte. Il le ferait étriper lentement et laisserait les fourmis rouges dévorer ce qui resterait de lui.
Sorasak s'aperçut que la cadence des rameurs avait ralenti. Que diable se passait-il ?
Il vit une barque chargée d'hommes armés se diriger vers le milieu du fleuve pour leur bloquer le passage. Sur la rive, près d'une hutte à toit de chaume, on pouvait distinguer d'autres gardes en armes. Sorasak n'était pas venu dans cette région depuis quatre ans mais il ne se souvenait pas y avoir jamais vu tant de postes de garde. Venus, comme lui, de la lointaine province du Nord, ses rameurs ne pouvaient lui fournir aucune explication et commençaient à devenir nerveux.
Ils approchaient de Louvo, lieu de résidence favori du roi. Cela pouvait peut-être expliquer un tel renforcement de la sécurité.
La barque armée s'était arrêtée au milieu du fleuve et l'un des gardes leva la main. Le bateau ralentit tandis que les rameurs regardaient Sorasak avec anxiété.
«Vous feriez mieux de leur demander ce qu'ils veulent», leur dit-il d'un ton brusque.
Les rameurs manœuvrèrent pour s'aligner contre le flanc de l'autre bateau et un officier en uniforme examina les passagers. Sorasak se vit sommé de se faire connaître et, plutôt embarrassé, répondit à voix si basse que l'officier dut lui demander de répéter. Il s'exécuta de mauvaise grâce, cette fois plus nettement. En entendant son nom, les rameurs, stupéfaits, se prosternèrent précipitamment en signe de soumission. Originaires du nord, tous savaient que Luang Sorasak était le gouverneur le plus brutal et le plus sadique du pays - sans parler de ses pratiques sodo-mites. On racontait même qu'il violait de jeunes enfants et qu'il n'était autre que le célèbre «Tigre», si redouté sur les rings.
L'officier en uniforme parut lui aussi déconcerté. Il discuta un instant à mi-voix avec son compagnon avant de revenir s'incliner respectueusement devant le jeune homme en le priant de l'attendre pendant qu'il retournait à terre.
Tandis que le bateau des gardes se dirigeait vers la rive, Sorasak envisagea un instant de forcer le barrage, mais ses rameurs paraissaient si effarouchés qu'il y renonça. Il n'avait d'ailleurs aucune raison de se sentir coupable de quoi que ce soit. Il serait même intéressant de connaître la raison de ce retard.
Comme le fleuve n'était pas très large à cet endroit, il pouvait voir nettement l'officier en uniforme s'entretenir avec les gardes postés dans la hutte. Le bateau revint finalement et l'officier demanda courtoisement à Sorasak de bien vouloir l'accompagner.
Les yeux de Sorasak se rétrécirent.
«Allez-vous enfin m'expliquer ce qui se passe? gronda-t-il.
- Puissant Seigneur, tous les bateaux se rendant à Louvo doivent se faire enregistrer ici sur ordre de Son Excellence le Barcalon.
- Et pourquoi cela?»
L'officier eut l'air embarrassé. «Nous l'ignorons,
Puissant Seigneur, mais ce sont les ordres. Je dois vous demander de bien vouloir apposer votre sceau sur notre registre. »
La méfiance naturelle de Sorasak était en éveil, mais il réussit à se contrôler. Il n'avait rien à gagner en compliquant les choses. Ses rameurs n'oseraient pas le soutenir face à une demi-douzaine de gardes armés prêts à fondre sur eux.
«C'est bon. Qu'on en finisse!» abova-t-il.
Il toucha terre et vit un officier à cheveux gris sortir de la hutte pour venir se prosterner devant lui. Dans un murmure, il demanda s'il pouvait s'entretenir avec lui, suggérant qu'il pourrait en profiter pour soulager un besoin naturel après les longues heures passées sur le fleuve. D'abord surpris par cette étrange proposition, Sorasak comprit qu'il ne s'agissait que d'un prétexte pour lui parler seul à seul. Il accompagna l'homme jusqu'à la lisière de la clairière et, tandis qu'il défaisait son
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