Le dernier vol du faucon
ciel... pas plus tard qu'hier, il avait calculé que la moitié des soixante jours qui lui restaient soi-disant à vivre était déjà écoulée. Aujourd'hui, cela ne faisait déjà plus que vingt-neuf. Les prédictions de la vieille femme commençaient à le tourmenter. Chaque jour apportait un nouveau problème.
Mais le plus dangereux de tous était incontestablement Petraja. Si seulement Chao Fa Noi voulait bien répondre à la lettre signée Dawee! Phaulkon disposerait ainsi de la preuve définitive d'une conspiration entre le prince et le général Petraja. Le sort de ce dernier serait alors scellé.
Naturellement, il faudrait qu'il soit arrêté dans les appartements privés du roi, seul endroit où l'on devait pénétrer sans armes. Partout ailleurs, le général se déplaçait entouré de son escorte. L'ordre devait venir du roi lui-même, dès que Naraï serait convaincu de la culpabilité de celui qu'il croyait pourtant son plus fidèle ami. L'élément de surprise jouerait en leur faveur. En tant que Barcalon, Phaulkon aurait pu donner lui-même cet ordre, mais on pourrait alors le soupçonner d'assouvir une rancune personnelle. Petraja avait de nombreux amis. Si l'arrestation émanait directement du Seigneur de la Vie, plus personne ne songerait à la contester.
L'apparition soudaine du père de Bèze interrompit le cours de ses pensées. Le petit jésuite semblait très agité et hors d'haleine. Il alla droit au but.
« Sa Majesté est dans un état épouvantable, Constant. Pire que tout ce qu'il a déjà enduré jusqu'ici. Il vous réclame d'urgence. Vous feriez mieux de venir avec moi sur-le-champ.
- Qu'est-ce qui a bien pu provoquer cela ? » demanda Phaulkon en se levant vivement.
« Il a reçu une lettre qui, à ce que j'en sais, l'aurait profondément bouleversé. »
Ils quittèrent en hâte la maison et poursuivirent leur entretien tout en marchant. Une escorte se tenait toujours prête à la porte de Phaulkon et les gardes se joignirent aussitôt à eux. Le Père jeta un regard en coin à son compagnon.
« Etiez-vous au courant de cette lettre ?
- C'est possible, mon Père, du moins s'il s'agit de ce que j 'espère.
- Que vous "espérez", dites-vous ? » Le prêtre fronça les sourcils. «Je ne crois pas que vous ayez compris à quel point Sa Majesté est fragile. Vous ne devez rien dire qui puisse aggraver son état. »
Phaulkon s'efforça de le rassurer tandis qu'ils s'approchaient du palais. Ils se soumirent à l'examen traditionnel destiné à s'assurer qu'ils ne portaient pas d'armes et n'avaient pas consommé d'alcool. Puis,
escortés seulement de deux gardes, ils franchirent les portes massives et pénétrèrent dans la première cour intérieure. Presque aussitôt, ils furent les témoins d'une scène des plus étranges: comme poursuivi par un fantôme, le général Petraja courait à perdre haleine dans leur direction...
20
Tout au long de ces derniers jours, Petraja s'était employé activement à lever son armée. D'anciens camarades qui avaient servi sous ses ordres commençaient à répondre à son appel et partaient à leur tour en quête de soldats ayant combattu à leurs côtés dans les glorieuses campagnes de Birmanie. Leur nombre augmentait peu à peu, bien que ce fût une tâche longue et compliquée que de localiser tant d'hommes après vingt années de paix.
Petraja concentrait ses efforts sur la région de Louvo de manière à rester en liaison avec l'abbé tout en étant proche des plus hautes instances du pouvoir. Quant au colonel Virawan, son vieil allié, il avait reçu pour mission de recruter des troupes dans la région d'Ayuthia.
Petraja avait secrètement rendu visite au monastère de Louvo pour tenir informé le vieux moine de ce qui se passait. Patiemment, il lui avait expliqué que cette levée d'hommes n'avait pour seul but officiel que d'assurer une succession sans heurts. En réalité, ce serait Chao Fa Noi, l'héritier légitime, qui devait monter sur le trône le moment venu, et non Piya, ce pantin à la solde des catholiques. Il réussit à persuader l'abbé que les Français, à Bangkok, se préparaient déjà à la guerre, plus que jamais décidés à imposer le christianisme par la force.
Même si l'entente était loin de régner entre le supé-rieur de Louvo et le roi, Petraja se garda de faire allusion au soi-disant projet de profanation des restes du monarque car un acte aussi choquant n'aurait pu que susciter un revirement des
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