Le dernier vol du faucon
bouddhistes en faveur de Naraï. Comme prévu, le prudent abbé n'approuva pas ouvertement le plan de Petraja mais, grâce à sa longue expérience au sein du monastère, le général savait très bien que le silence du saint homme était une tacite approbation.
Si le recrutement massif de soldats donnait les résultats escomptés, ses troupes seraient cinquante fois supérieures à celles des Français. Une telle disproportion lui permettrait de perdre quelques hommes sous le feu des canons farangs.
Par ailleurs, la santé du roi se dégradait si vite que, bientôt, personne ne pourrait ignorer que c'était Petraja et non le Seigneur de la Vie le véritable chef des armées. Il était déjà établi que Sa Majesté avait donné son consentement à la levée des troupes. Si, à la mort du roi, le supérieur de Louvo se rangeait publiquement au côté de Petraja, le pouvoir du général ne connaîtrait plus de limites.
Les diverses pièces du plan se mettaient donc parfaitement en place, songea-t-il avec satisfaction. Seul le comportement de Vichaiyen demeurait une inconnue. Tant que Naraï restait en vie, le Barcalon conservait toute sa puissance. Mais après la mort du roi, qui le soutiendrait? La plupart des mandarins de la Cour, jaloux de son ascension, lui étaient hostiles et ne songeaient qu'à le renverser. Certains farangs, naturellement, se rallieraient à Phaulkon : ses amis, ainsi que des marchands et quelques douzaines de mercenaires portugais, sans oublier une poignée de mandarins avec lesquels il était en bons termes. Et, bien entendu, Piya et ses sympathisants.
Autant que Petraja pouvait en juger, Desfarges représentait encore une menace sérieuse. S'il parvenait à priver Vichaiyen de ce soutien, il l'isolerait pour de bon. Le général réprima un sourire. Les choses commençaient à progresser sérieusement...
Par cette chaude et orageuse soirée, le ciel était lourd de nuages. Après une longue journée passée à recruter des hommes à Louvo, Petraja se dirigeait vers le Palais. Il n'avait pas oublié la menace du Barcalon de dénoncer «un traître au sein du royaume». Soupçonnant qu'il s'agissait de lui et que ce serpent de Vichaiyen ferait tout pour indisposer le roi à son égard, il avait décidé qu'il serait bon d aller se rendre compte par lui-même où en étaient les choses, pour le cas où il aurait besoin de défendre sa réputation. Il n'était pas question de laisser Vichaiyen exercer seul son influence sur le roi.
Quand il avança en rampant dans la chambre royale, il trouva le roi dans un état de santé déplorable. Plusieurs fois par minute, son corps était parcouru de violents tremblements. Suffoquant, ses pauvres poumons désespérément en quête d'un peu d'air, le vieil homme s'agitait sur ses oreillers en marmonnant fiévreusement. De temps à autre, on distinguait quelques mots dans ce flot incohérent: «Qu'on l'arrête!» bal-butiait-il. Ou encore : « Faites venir la garde ! >» Son visage se crispait sous l'effort et il retombait sur ses oreillers, à demi évanoui.
Prosterné, Petraja tenta en vain de faire connaître sa présence. «Auguste et Puissant Seigneur, votre esclave indigne est là pour vous servir», commença-t-il.
Mais le roi ne parut pas l'entendre. Après s'être accommodé à la faible lumière ambiante, Petraja distingua dans un coin de la pièce la sœur du roi. Toujours fidèle, la princesse ne quittait jamais le chevet de son royal frère, dormant la nuit au pied de son lit.
« Noble Dame, puis-je demander ce qui afflige ainsi votre noble frère ? »
Il n'était certes pas permis de se parler directement en présence du roi mais, en ces circonstances exceptionnelles, Petraja jugea opportun de faire une exception au strict règlement. D'ailleurs, le Seigneur de la Vie ne les entendait manifestement pas.
«Je l'ignore, Général, murmura-t-elle. Il est ainsi depuis qu'il a reçu une lettre au début de l'après-midi. Il la garde sous ses oreillers et je ne sais ce qu'elle contient. Sa Majesté a appelé à plusieurs reprises Vichaiyen et crié : "Qu'on l'arrête !" Le médecin farang vient juste de sortir pour aller le chercher. Il a longuement essayé de calmer mon pauvre frère, mais sans y parvenir. »
A peine la vieille dame aux cheveux gris avait-elle fini de parler que le roi s'assit dans son lit. « Est-ce toi, Vichaiyen? Qu'on l'arrête!» cria-t-il d'une voix croassante.
Petraja tenta à nouveau de signaler sa présence,
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