Le dernier vol du faucon
détente, captivé par la beauté de son pays natal. Les hauts palmiers et les épais massifs de bananiers se balançaient doucement sous la brise légère, les rizières inondées scintillaient sous la lueur déclinante du crépuscule.
De temps à autre, les rameurs jetaient un regard furtif à leur solide passager comme effrayés par sa seule présence. Sorasak retint un sourire satisfait. Il faisait cet effet-là à tout le monde, même lorsque l'on ignorait qui il était vraiment, comme c'était le cas aujourd'hui. Il avait loué le bateau quatre jours plus tôt dans le Nord et payé convenablement les hommes afin qu'ils le conduisent à Louvo. En dehors de cela, ils ne savaient rien de lui.
Cela faisait déjà quelque temps que Petraja lui avait demandé de revenir à la Cour, mais il ne s'était pas pressé, prenant son temps pour traverser paisiblement à dos d'éléphant les provinces du Nord en s'accordant le plaisir de s'adonner à son passe-temps favori, la boxe thai, sport national au Siam.
Sorasak y excellait. En fait, il n'avait pas d'égal. Cette supériorité l'obligeait à voyager anonymement dans tout le pays pour participer incognito aux combats. Ce sport était si populaire que les combattants n'étaient pas obligés de s'inscrire à l'avance pour participer aux compétitions. Ils surgissaient simplement de la foule pour relever le défi. Lorsque l'un d'eux était déclaré gagnant d'une reprise, l'arbitre se tournait vers le public pour demander à l'assistance si quelqu'un était prêt à affronter le champion. Sorasak se présentait alors et montait sur le ring. Jamais encore il n'avait été vaincu. Son surnom de «Tigre» était devenu légendaire, mais personne ne connaissait sa véritable identité.
Pour garder le secret, Sorasak ne demeurait jamais longtemps à la même place, partant dès qu'il avait touché la prime revenant au vainqueur. Parallèlement à sa vie de cour, le fils rébarbatif et musclé du général
Petraja s'était créé une légende anonyme dans toutes les provinces du royaume.
Il poussa un grognement. Que pouvait-il y avoir de si urgent pour que son père l'ait fait venir? Il avait vingt-cinq ans et encore toute la vie devant lui. Beaucoup de temps, en somme. Et il n'avait nulle intention d'accepter un autre poste de gouverneur dans quelque province éloignée.
Il savait pertinemment que le roi - son vrai père -, aidé de Petraja, avait comploté pour l'écarter du centre des affaires en l'exilant. Mais il n'allait plus se laisser faire. Il avait d'autres projets. Certes, sa mère était de basse extraction, mais il n'en demeurait pas moins le fils unique du Seigneur de la Vie - un vieil homme de plus en plus malade à ce que l'on disait. Les rumeurs sur son déplorable état de santé avaient déjà atteint le nord du pays, mais la réalité pouvait être encore plus grave. Les frères du roi pouvaient prétendre au trône en tant qu'héritiers légitimes. Heureusement, l'un était épileptique et l'autre un pédéraste en disgrâce. Qui d'autre restait donc en lice pour la succession en dehors de lui, Sorasak, fils naturel de Naraï le Grand ?
Naturellement le roi et Petraja avaient conclu une sorte de pacte pour dissimuler au reste du monde l'existence de ce fils gênant. Mais si le roi était effectivement mourant, il était temps de dévoiler qui il était réellement. Il confronterait le roi et Petraja, exigeant que la vérité soit rendue publique.
Il fit quelques flexions pour réveiller ses muscles raidis. Comment osaient-ils le traiter comme un lépreux? C'était le sang du roi de Siam qui coulait dans ses veines. Il saurait gagner cette bataille, aussi facilement qu'il remportait ses combats de boxe. Ainsi, il effacerait définitivement l'humiliation de son exil.
Il n'était qu'un tout jeune garçon lorsque l'une de ses tantes lui avait révélé sa véritable identité - le jour des funérailles de sa mère... Il se rappelait encore les hautes flammes léchant le bûcher funéraire. « Sur son lit de mort, ta mère m'a fait jurer de te révéler ta véritable origine, Sorasak, lui avait annoncé sa tante. Tu es le fils du Seigneur de la Vie. Au cours des dernières années, ta mère a tenté de te faire reconnaître officiellement, mais ton père s'est montré inflexible. Quand un rocher a fait son trou dans la terre, a-t-il dit, il est préférable de le laisser là où il est, car c'est sa place. Mais ta mère souhaitait que tu sois fier de ta
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