Le dernier vol du faucon
décision de votre commandant vous incite sans doute à manifester votre soutien, mais je peux vous assurer que le moment est mal choisi. J'ai vu la foule se masser aux portes du Palais. C'est une foule compacte, menaçante, qui grandit de minute en minute. L'abbé et ses moines tiennent la population sous leur coupe. Je vous supplie de ne pas les pousser à bout en vous montrant. Cela ne servirait qu'à renforcer leurs craintes. »
Il se retourna vers Phaulkon. « Il est encore temps pour vous de partir, Constant. Prenez votre famille et vos gardes avec vous et gagnez Bangkok au plus vite.
- Jamais», répliqua Phaulkon avec l'assurance d'un homme que l'on ne peut détourner de son devoir. «Tant que Sa Majesté sera en vie, c'est sa volonté qui prime. L'ordre doit être restauré et Petraja arrêté. Je
vais m'en charger moi-même. Retournez vous occuper du roi, mon Père. Plus vite il reprendra conscience, plus vite l'offense sera vengée.
- Je vous accompagne au Palais», intervint Mark en se plaçant à son côté.
Phaulkon lui jeta un regard chargé de tendresse.
«Non, Mark, j'ai besoin ici de quelqu'un de confiance. Rends-toi immédiatement avec Anek dans le quartier portugais. Demande la maison de Joao Pareira. Tu diras à ce dernier de rallier ses hommes et de me retrouver à la porte sud avec toutes les armes qu'il pourra rassembler. Tu reviendras ensuite ici pour m'y attendre. »
Phaulkon vit le visage de son fils s'assombrir et devina sa déception. «Tu ne peux pas venir avec moi, Mark. Dès que ta mère sera de retour, tu la raccompagneras au fort où elle sera en sécurité. »
Heureux d'avoir un rôle à jouer, Mark étreignit son père et disparut sans discuter. Phaulkon fit signe aux autres de le suivre et se dirigea vers la porte du Palais. Les trois officiers lui emboîtèrent le pas, imités par le père de Bèze, visiblement réticent.
Phaulkon décida qu'il valait mieux entrer par une petite porte latérale, plus discrète. Ils éviteraient ainsi la foule qui, aux dires du père de Bèze, marchait sur le Palais.
Le petit jésuite était parti devant pendant que Phaulkon rassemblait ses gardes - une petite troupe de vingt Siamois qui l'accompagnaient dans tous ses déplacements. Malgré la stricte interdiction de pénétrer armé dans l'enceinte du Palais, Phaulkon avait fait exceptionnellement distribuer les armes à ses hommes. Si nécessaire, il était décidé à user de la force. Il espérait aussi que la redoutable bande de mercenaires que Mark était allé chercher serait suffisante pour repousser la foule. Les armes sophistiquées des farangs étaient redoutées de tous.
Les rues étaient étrangement désertes mais on
entendait clairement au loin le grondement de la foule. Phaulkon longea la muraille extérieure du Palais jusqu'à une petite porte utilisée généralement par les fournisseurs des cuisines royales. Malgré ce rôle accessoire, elle était néanmoins munie d'un épais vantail de teck et gardée en permanence.
« Si nous devions être séparés pour une raison quelconque, nous nous retrouverons ici à cette porte», lança-t-il à ses hommes.
Il s'était adressé à eux, le dos contre le mur, sans remarquer que la porte s'était imperceptiblement entr ouverte derrière lui.
«Notre objectif est de disperser la foule sans verser le sang. Nous devons également arrêter le général Petraja. Vous le connaissez tous de vue. Si vous le voyez, emparez-vous de lui et faites-le-moi savoir immédiatement. » Viroj, le chef des gardes, s'inclina bien bas. « Puissant Seigneur, nous recevons vos ordres. » Phaulkon se retourna et, les trois officiers français sur les talons, s'avança vivement vers la porte. Surpris de la trouver non fermée et sans gardes, il la poussa prudemment pour s'assurer que l'accès n'était pas gardé, recula puis, d'un seul coup, l'ouvrit toute grande.
Avec un grand sourire, Joao Pareira serra Mark dans ses bras. C'était un homme d'une taille colossale. Il administra un grand coup sur le dos du garçon et s'exclama en riant: «Tel père, tel fils, hein?»
Manifestement enchanté de pouvoir passer à l'action, Joao gratta son abondante barbe noire, mit son gros bras sur l'épaule de Mark et l'entraîna dans le dédale du quartier portugais. Il voulait d'abord rassembler ses vieux camarades de combat avant d'aller prospecter les autres quartiers farangs. La plupart de ses amis étaient, comme lui, couverts de dettes et désireux de se
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