Le dernier vol du faucon
corde afin de lui lier les pieds. Quand ils réapparurent, elle les regarda d'un air épouvanté et lut l'horreur dans les yeux de Sunida. Tandis qu'ils lui entravaient les chevilles, elle se tourna vers un cheval qui approchait. Le chef rugit quelques mots et Sunida s'avança vivement pour lever le bras de l'Anglaise plus haut encore.
Nellie tremblait de tous ses membres quand le cheval arriva à sa hauteur. Lacéré de coups, à demi inconscient, le malheureux Français rencontra son regard et lui lança un appel suppliant et muet. Fermant les yeux, elle abattit le bras et lui asséna un coup en tremblant avant de se détourner, écœurée. Confusément, elle vit Sunida l'imiter mais ce n'était qu'un commencement. Trois autres chevaux suivaient. Elle ferma à nouveau les yeux pour frapper. Quand, entraînés dans une boucle infernale, les chevaux se présentèrent à nouveau devant elle, Nellie s'effondra, évanouie.
Un cri s'éleva alors dans la foule: «Assez! Les farangs se rendaient à Ayuthia. Il ne faut pas les retarder davantage ! » La foule gronda son approbation ei les chevaux quittèrent la clairière pour prendre la direction de la capitale en traînant toujours derrière eux les corps des Français. De nombreux villageois coururent à leur suite, criant encore leur colère à ren contre des farangs, à peine conscients.
Tandis qu'ils s'éloignaient, Sunida s'était agenouillée auprès de Nellie pour tenter de la ranimer. Elle ramassa un bol vide, alla le remplir au fleuve et en baigna longuement le front et les tempes de la jeune femme qui finit par retrouver ses esprits. La clairière s était vidée en un clin d'oeil et leur éléphant approcha. Sunida délia la corde qui enserrait les pieds de sa compagne et toutes deux réussirent péniblement à se hisser sur l'animal. Mais les beautés de la nature et la contemplation des paisibles rizières miroitant sous le soleil couchant ne pouvaient effacer de leur esprit la vision des corps déchirés et sanglants. Nellie pleurait et Sunida dut rassembler tout son courage pour ne pas s'effondrer à son tour. La prédiction de mère Somkit continuait de la hanter et l'image de Phaulkon traîné dans la boue comme ces pauvres farangs ne la quittait pas.
Le soleil se couchait quand elles atteignirent les faubourgs d'Ayuthia. Déjà, le sort des malheureux Français alimentait toutes les conversations. Sunida et Nellie apprirent que l'un des officiers avait péri et que les autres, gravement blessés ou inconscients, avaient été confiés à des prêtres farangs. Marquées par les scènes d'horreur de la journée, l'estomac au bord des lèvres à cause du balancement de l'éléphant, les deux femmes se dirigèrent vers le Palais royal. Sunida connaissait le capitaine des gardes et comptait y demander asile pour la nuit.
Mark frappa discrètement à la porte du bureau de Phaulkon, hésitant à le déranger. Son père sembla t extrêmement préoccupé ces derniers temps et il s'er-fermait parfois pendant des heures. Une voix boui-rue l'invita à entrer. Il trouva Phaulkon le visage sombre, arpentant nerveusement la pièce. Prudemment, Mark resta sur le seuil.
«Monsieur, je m'inquiète pour ma mère. Anek m'a dit que la situation devenait de plus en plus alarmante. »
Phaulkon cessa ses allées et venues et se tourna vers lui.
«Mark, tu dois m'appeler "père".» Il réussit à sou rire. «J'ai peut-être endossé tardivement ce rôle, mai:, je tiens désormais à le remplir convenablement. »
Le jeune homme rit nerveusement pour dissimuler le fait qu'il était ravi. «Je suis venu vous demander votre avis, père. Après tout ma mère n'a pas d es corte et ignore la langue de ce pays.
- Elle a Sunida, Mark, ce qui est plus précieux que n'importe quelle escorte. Je dois pourtant avouer que je me fais également du souci. Nous vivons des temps troublés. Je voulais la faire accompagner par mes gardes mais Sunida m'en a dissuadé. Elle assure que les Siamois ne feront jamais de mal à une Européenne et qu'une escorte aurait attiré l'attention. J'ai appris depuis des années à faire confiance à son instinct. »
Les yeux de Mark brillèrent à la mention du nom de Sunida. «C'est une femme vraiment exceptionnelle, père. »
Phaulkon sourit «Elle n'a pas son égale, en effet.» Il s'aperçut que Mark hésitait à poursuivre. «Qu'est-ce qui te préoccupe ? »
L'adolescent se décida et lâcha soudain: «Est-ce que... est-ce que vous avez aimé ma
Weitere Kostenlose Bücher