Le dernier vol du faucon
reconnaissait aucun des visages qu'il avait sous les yeux.
Bien que trois fois supérieurs en nombre, les Siamois ne firent pas mine de bouger. Les deux groupes restèrent immobiles à se dévisager lorsque des pas résonnèrent derrière eux. Les Français se retournèrent et virent Petraja pénétrer dans la cour, venant de l'autre extrémité. Il n'était pas armé, mais l'un de ses gardes portait son épée car, au Siam, il n'était pas d'usage que les nobles de haut rang portent eux-mêmes leurs armes. Phaulkon avait lui-même respecté cette règle et, selon les usages du Palais, l'homme chargé de son épée attendait de l'autre côté des murs. Les mousquets étaient également restés dans les mains de sa garde. Il maudit à nouveau son sort.
En souriant, Petraja s'adressa à ses hommes.
«Tout va bien. Ce n'est que Son Excellence le Pra Klang.» Il continua de s'approcher de Phaulkon. « Excusez mes gens, mon Seigneur, ils n'ont pas voulu vous manquer de respect. C'est seulement qu'ils sont un peu excités en ce moment... »
Phaulkon ne répondit pas. Les trois officiers français, leur épée à la main, attendaient ses ordres. Le sourire toujours aux lèvres, Petraja fit encore quelques pas en avant. Bientôt, il allait se trouver à la portée de Beauchamp.
Phaulkon fit un rapide calcul. Ils avaient quatorze hommes contre eux en comptant Petraja et son porteur d'épée. Treize d'entre eux étaient armés. Que n'avait-il ses gardes près de lui! Il n'était guère probable qu'ils aient pu déjà franchir la porte principale
qu'il savait étroitement surveillée. Sans doute ne songeraient-ils pas non plus à escalader l'enceinte royale. Quant aux mercenaires de Joao, quand ils arriveraient, il leur faudrait encore du temps pour franchir ces mêmes murs à la force du poignet. Et en admettant qu'ils y parviennent, comment allaient-ils faire pour se repérer à l'intérieur de ce Palais qu'ils ne connaissaient pas? Mieux valait ne pas compter sur des secours immédiats.
Beauchamp, les yeux fixés sur Petraja, attendait l'ordre de Phaulkon, son épée pointée vers le traître. Phaulkon réfléchit rapidement. Si l'officier français tuait Petraja maintenant, un massacre s'ensuivrait inévitablement car, en retour, tous les farangs seraient impitoyablement assassinés. Et qui sait s'ils pourraient eux-mêmes en sortir vivants ?
Petraja s'inclina aimablement devant Phaulkon. Sans changer d'expression, il aboya un ordre et, en un clin d'oeil, ses hommes s'avancèrent pour encercler les Français et les isoler du Barcalon. Beauchamp lança un cri pour lui signaler qu'il n'attendait que son ordre. Frustré et furieux, Phaulkon se retint cependant d'agir, jugeant que les chances étaient par trop inégales. Les officiers furent désarmés et emmenés, non sans que Beauchamp ait crié en français d'une voix forte : « Le général Desfarges sera informé de tout cela ! »
Il répéta le nom de Desfarges à plusieurs reprises dans l'espoir que Petraja comprendrait que la réaction ne tarderait pas si le moindre mal leur était fait.
«Conduisez-les à l'entrée principale et attendez-moi là», ordonna Petraja, impassible.
Neuf hommes entraînèrent les Français tandis qu'il restait en compagnie de trois autres et de son porteur d'épée.
«Vingt hommes de ma garde attendent de l'autre côté de ces murs, Petraja, déclara froidement Phaulkon. S'ils ne me voient pas revenir bientôt, ils briseront la porte.
- C'est pourquoi nous allons les rassurer, répliqua
sereinement Petraja. C'est vous, Vichaiyen, qui allez leur dire que tout va bien. »
Accompagné de ses quatre gardes, il escorta Phaulkon vers une série de marches taillées dans le mur, à quelque distance de la porte par laquelle ce dernier était entré. Sur un ordre de Petraja, les hommes remirent leurs sabres au fourreau et s'armèrent de petits poignards dont ils dirigèrent la pointe sur le dos de Phaulkon. En l'aiguillonnant de la sorte, ils lui firent monter les marches sans ménagements. Juste avant d'arriver en haut, Petraja saisit le bras de son prisonnier et l'obligea à se retourner face à lui. Debout tous deux sur la même marche, Phaulkon dépassait Petraja d'une bonne tête.
« Écoutez bien, Vichaiyen, car je ne le répéterai pas deux fois. Vous et moi allons nous promener sur ces remparts côte à côte et avoir une aimable conversation bien en vue de vos hommes. Quand nous serons proches d'eux vous leur direz - bien
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