Le dernier vol du faucon
Sunida, à bout d'arguments.
- Bien. Notre relation doit se construire sur des bases saines et vous verrez que je peux vous être très utile. Dites-moi maintenant comment va votre enfant? Ou peut-être devrais-je dire vos enfants? Je ne m'en souviens pas. »
Sunida frémit. Son maître l'avait toujours assurée que Maria ignorait tout à ce sujet et ne devait jamais rien savoir.
«Il n'y a pas d'enfants, Honorable Dame.
- C 'est difficile à croire car je sais que votre maître vous rend visite fréquemment. »
Sunida garda le silence. Puis elle se dit qu'il était préférable de nier ce dernier point.
« Mon maître voyage beaucoup, Honorable Dame. Il a très peu de temps pour moi.»
Maria se fâcha tout à coup. «Je vois que vous ne voulez pas devenir mon amie. Je vous ai tendu la main et vous l'avez repoussée.»
Comme Sunida demeurait silencieuse, elle appela le capitaine. Le cœur de la jeune Siamoise battait à tout rompre. Dès que le capitaine se présenta, Maria la renvoya, prétextant qu'elle voulait parler seule au responsable des gardes. Sunida se prosterna et sortit à reculons.
«Capitaine, dit Maria, j'ai interrogé cette femme consciencieusement. Elle ne sait rien ou très peu de choses des coutumes du Palais. Je crains qu'elle ne soit pas une concubine royale mais bien une usurpatrice.» Elle fit une pause et poursuivit d'un ton glacial. «Vous devez me dire qui étaient les assassins du jeune prince.
- Us étaient vêtus comme des prêtres farangs. Tous ont été tués à l'exception d'un seul, un Eurasien, qui a pu être arrêté vivant. Avant qu'on ne lui coupe la langue, il a avoué que les ordres étaient venus d'un moine du monastère de Louvo. »
Maria dévisagea le capitaine. «Cette fille vient éga-
lement de Louvo, affirma-t-elle. Si vous voulez mon avis, c'est beaucoup pour n'être qu'une coïncidence. » Le visage du capitaine exprima le soulagement et la reconnaissance.
« Merci, Honorable Dame. Vous avez été très aimable de bien vouloir vous déplacer. Ce que vous venez de nous dire sera fort utile. »
34
L'après-midi du 18 mai fut particulièrement orageuse et suffocante. Le Seigneur de la Vie reprenait parfois conscience et, avec effort, réussissait à se redresser dans son lit, cherchant pathétiquement son souffle, le visage déformé par la souffrance.
Le père de Bèze se précipita vers lui et le reposa doucement sur ses oreillers. Les princesses royales - la sœur et la fille du roi - échangèrent un regard de commisération. Accablée par le meurtre de son oncle, Yotatep venait d'arriver d Ayuthia afin de se réconcilier avec son père, mais il était alors trop malade pour la reconnaître. Depuis quelques heures, il ne faisait que marmonner des choses incohérentes parmi lesquelles on reconnaissait souvent le nom de Vichaiyen et le mot «cachot». La voix du roi était ensuite devenue incompréhensible sous le coup de la fureur et de l'indignation.
En arrivant, la jeune princesse avait trouvé une situation inconcevable. Il lui avait fallu solliciter l'autorisation du général Petraja pour pénétrer dans le saint des saints et revoir enfin son père. Certes, ses désirs avaient été exaucés rapidement, mais il n'en demeurait pas moins extraordinaire qu'elle ait été obligée de les formuler. Petraja régentait tout au Palais. Elle ne s'était pas encore trouvée en face de lui mais, d'après ce qu'elle avait vu et entendu de la bouche même des gardes, c'était son père qui avait donné l 'ordre d'arrêter et d'emprisonner Vichaiyen. Il aurait également chargé Petraja de prendre les rênes du gouvernement pendant sa maladie. Partout, on racontait que le Seigneur de la Vie délirait. Yotatep avait découvert de nombreux visages nouveaux au Palais et elle était sûre qu'il s'agissait d'hommes de Petraja, placés à des positions clés pour faire circuler les informations souhaitées. Il ne lui avait cependant pas échappé que son père, ou du moins l'autorité qu'il exerçait sur son peuple, inspirait encore à Petraja un respect mêlé de crainte. Ce n'était pas pour rien que le roi était appelé Naraï le Grand. Tant qu'il était en vie, le général devait agir prudemment car il ne pouvait se permettre d'être soupçonné d'avoir entraîné la mort d'un tel monarque.
Ce que Petraja avait fait était réellement stupéfiant. Si on avait dit à Yotatep un mois plus tôt que le président du Conseil privé trahirait le roi, elle se
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