Le dernier vol du faucon
serait moquée de cette idée. Et voilà que, maintenant, le Seigneur de la Vie avait soi-disant demandé à Petraja, son vieil ami et allié, d'exercer la régence! Quoi de plus naturel que le héros des campagnes de Birmanie dirige le Siam quand un ennemi étranger - la France, cette fois - menaçait de l'envahir.
Hélas... songeait amèrement Yotatep, elle aussi avait eu confiance en Petraja et l'avait cru le plus fidèle soutien de son père.
Elle avait appris que le général se présentait régulièrement à l'entrée du saint des saints pour faire croire qu'il venait chercher les ordres du roi. Le père de Bèze n'était pas autorisé à quitter le chevet du malade afin de donner un air de crédibilité à cette assertion.
Elle dirigea son regard vers un coin de la chambre où se terrait, tremblant, Pra Piya, l'ancien page royal que son père avait choisi comme successeur. Il était resté là, prostré, depuis plusieurs heures, terrorisé à l'idée du sort que pourrait lui réserver Petraja et n'osant pas quitter son refuge dans le saint des saints.
Âgé seulement de vingt-deux ans, il avait des traits plutôt agréables, jugea Yotatep en le regardant. Bien que le roi l'ait adopté, elle l'avait toujours méprisé en raison de ses modestes origines mais, en ces tristes instants où elle pleurait la mort de son oncle bien-aimé, elle fit en elle-même un vœu solennel. Si, comme elle en avait été secrètement informée, il s'avérait que Petraja était bien responsable de la mort de son oncle, alors elle épouserait Pra Piva pour se venger. La méprisable ambition de Petraja de monter sur le trône ne devait en aucun cas aboutir. Elle aurait tant voulu pouvoir dire tout cela à son père mais son état avait déçu ses espoirs.
Les pensées de la princesse furent interrompues par la soudaine apparition d'un garde posté à l'entrée du saint des saints. Il se prosterna sur le seuil, haletant, attendant que le roi lui donne l'autorisation de parler. Mais Naraï ne s'aperçut même pas de sa présence.
La sœur du roi prit sur elle de s'adresser à lui. «Allons, parle. Nous transmettrons ton message au Seigneur de la Vie quand il s'éveillera.
- Noble Dame, qu'il en soit fait selon vos ordres. Le général Petraja a pénétré dans l'enceinte sacrée avec une demi-douzaine de ses hommes. Ils demandent l'autorisation de venir ici. Ils sont armés et recherchent le seigneur Vichaiyen.
- Le seigneur Vichaiyen? répéta le père de Bèze, soudain rempli d'espoir. A-t-il réussi à s'échapper?
- Vichaiyen, est-ce toi ? » Levant la tête, le roi regardait autour de lui. « Où es-tu ? »
De ses mains décharnées, il tâtait le bord du lit, comme pour atteindre la tête du Barcalon prosterné à côté.
«Auguste et Puissant Seigneur, c'est moi, Prasit, un cheveu de votre tête. Le général Petraja et six de ses hommes veulent pénétrer dans l'enceinte sacrée. Les gardes attendent les instructions de Votre Majesté. »
Le roi regarda soudain droit devant lui, les yeux flamboyants. A la stupéfaction des femmes et du méde-
cin jésuite, il lança ses jambes hors du lit et se leva. Son visage était pâle comme la mort et sa bouche tremblait si violemment qu'aucun son ne put d'abord franchir ses lèvres. Puis les mots en jaillirent brusquement à flots.
«Qu'on fasse entrer ce traître et qu'on m'apporte mon épée», ordonna-t-il d'une voix qui, d'ordinaire si faible, résonna comme le tonnerre.
Une esclave pétrifiée se précipita au-dehors pour aller chercher le porteur de l'épée royale tandis que le roi, chancelant, s'avançait le long du lit en s'agrip-pant à lui. Le porteur entra en courant dans la pièce et vint se prosterner aux pieds de son maître en élevant l'arme au-dessus de sa tête. Bouillant de rage, le roi dégaina l'épée de son fourreau et se plaça face à la porte. Personne n'osait bouger et les princesses, pas plus que le jésuite, ne se risquèrent à intervenir.
Au même instant la porte s'ouvrit brutalement, livrant le passage à Petraja et à trois de ses gardes armés. L'épée pointée sur eux, le roi contempla les intrus avec fureur. Interdits, ne sachant que faire, Petraja et ses hommes s'immobilisèrent.
« Prends notre vie, si tu oses, vermine, traître ! » cria le roi, les yeux étincelants.
Il leva son épée et fit un pas en avant mais l'effort l'épuisa. L'arme glissa de sa main tandis qu'il s'effondrait en arrière dans les bras des princesses
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